C’est Françoise Dolto, la célèbre psychanalyste, qui a popularisé le concept de l’enfant comme individu à part entière. Mais c’est nous qui, dans un mélange de culpabilité et de maladroite interprétation, en avons fait des princes, des princesses, qui ne demandent ensuite qu’à devenir rois et reines.
Dans les allées d’un grand magasin, ils étaient des dizaines de mini-souverains, dimanche dernier, pointant une chose du doigt pour se la faire offrir dans la seconde, ou sinon, hurlant jusqu’à ce que leurs parents cèdent enfin.
Le théâtre de ce triste spectacle que l’on reprend quotidiennement n’est ni un mail pour yuppies friqués ni un commerce de pauvres qui, de toute manière, ne peuvent s’offrir le luxe d’"acheter" la paix. On est ici dans la classe moyenne-moyenne des gens ordinaires-ordinaires, un échantillon de civilisation dans toute sa rutilante culture suburbaine.
Dans une étude sur la violence familiale publiée le lendemain, on apprendra que la plupart de ces gens-là considèrent pourtant les parents trop mous avec leurs enfants. Opinion précédée de statistiques concernant la violence physique mineure (en légère baisse) et la violence psychologique (en légère hausse).
Mais cette étude ne parle pas de ce que les parents semblent considérer comme la pire des violences, puisqu’ils la trouvent à ce point répréhensible qu’ils en sont bien incapables: dire non.
Ce que révèle en fait le document produit par l’Institut de la statistique du Québec, c’est que les parents s’avouent impuissants, complètement fuckés, incapables de s’inscrire en faux devant un discours qui prétend que tous les anciens modèles d’autorité parentale sont caducs, ne suggérant aucune alternative, sinon la discussion, la non-violence à tout crin, la négociation…
À leur décharge, disons que si les parents ont démissionné, c’est probablement parce qu’on leur réclame ce à quoi nul n’est tenu: l’impossible.
"Cette accusation [de démission] passe à côté d’une partie du problème, à savoir l’environnement culturel dans lequel grandissent aujourd’hui les enfants, propose un autre psychanalyste, Gérard Mendel, dans un spécial du Nouvel Observateur sur la paternité, paru en 2002. La marchandisation de la vie quotidienne sape les fondements de l’autorité en inversant les rôles: c’est l’enfant qui, souvent, impose ses modèles à ses parents. Il redoute davantage le jugement de sa classe d’âge que celui de son père. Celui-ci est de surcroît isolé, car il ne bénéficie plus du soutien du système social et religieux qui relayait auparavant son autorité."
Ça, on savait déjà: le boss, c’est l’enfant. À la lumière de cet extrait, ce que montre l’étude de l’Institut de la statistique, mais surtout, la petite morale qu’en tirent les experts en santé publique, c’est que non seulement le système social n’entretient plus le concept d’autorité, mais pire encore, il alimente un flou idéologique où les parents ne se retrouvent tout simplement plus, puisque cette même morale réprouve jusqu’au plus élémentaire coup de pied au cul, jusqu’à la plus essentielle injonction verbale, tout en demandant aux parents d’asseoir une autorité qu’ils ne parviennent pas à justifier autrement.
Alors ils négocient. Encore et encore, sans trop de succès, et se conforment finalement aux désirs de leurs enfants qui ne feront que croître, puisque tous les fondements de notre système reposent justement sur ce besoin d’avoir, de posséder.
Mais attention, ceci n’est pas le procès des parents, ou enfin, pas tout à fait. C’est plutôt celui des tenants de la bonne morale qui interdisent la violence en ne faisant que peu ou pas de distinction entre une tape aux fesses et les monstres des Voleurs d’enfance.
C’est aussi le procès d’une société qui, à force de ne plus savoir dire non, rend les enfants encore bien plus mous que leurs parents, mais ne s’en inquiète pas trop, préférant se conformer à cette nouvelle réalité, à commencer par les écoles où les programmes changent au gré des vents.
C’est le procès d’un phénomène social vieux comme le monde et qui nous pousse à nous dissoudre individuellement dans la "pensée" de la communauté: bonne par définition.
C’est le procès d’une société où la violence prend une autre forme que celles des insultes et des claques sur la gueule.
Celle de la normalité.