L'Action terroriste socialement acceptable : La fiesta des exclus
Société

L’Action terroriste socialement acceptable : La fiesta des exclus

La place Émilie-Gamelin devient un camp de réfugiés pour artistes et sans-abri. Un lieu humanitaire et festif. Quand la rue célèbre ses habitués…

Rue Drolet, au quartier général de l’Action terroriste socialement acceptable (ATSA), Annie Roy déballe les affiches encore chaudes qui annonceront l’État d’urgence, le festival engagé que son collectif organise depuis 1998. On sent la fébrilité dans sa voix. Un peu de fatigue aussi. "On organise l’État d’urgence… en état d’urgence! dit-elle. Le financement de l’événement se fait en même temps que sa programmation. Cela crée une espèce de performance, de bouillonnement… Il faut avoir le feu sacré!"

UN "MANIFESTIVAL"

L’État d’urgence, c’est une programmation culturelle de haut calibre, placée dans un contexte humanitaire. C’est un festival de rue, pour les gens de la rue. "C’est un événement d’accessibilité à la culture et une reconnaissance du droit citoyen des itinérants à se rassembler et à cesser de subir la pression sociale d’une marginalisation continuelle", explique Annie Roy. En somme, un entracte à l’exclusion. "Pendant cinq jours, ils sont les rois et partagent des moments magiques de culture", poursuit l’artiste. Tout au long de ce carnaval humaniste, les vagabonds sont logés et nourris, mais surtout considérés. Au-delà de l’aspect charitable, l’État d’urgence est aussi une effervescente manifestation culturelle, comblée de musique, de danse, de théâtre, de conférences et d’installations artistiques.

Ainsi, jusqu’au 27 novembre, la place Émilie-Gamelin est investie autant par la population que par un métissage d’itinérants et d’artistes. Il y a par ailleurs des parallèles philosophiques à établir entre l’art et l’errance, souligne Annie Roy. "Quand tu es en création artistique, tu vis aussi une espèce de quête, de démarche intérieure, de vertige…"

L’ART QUI DÉNONCE

On connaît l’ATSA pour ses coups d’éclat. Depuis 1997, le collectif formé d’Annie Roy et de Pierre Allard joue les éveilleurs de consciences. Utilisant l’espace public comme médium, l’ATSA a déjà dénoncé l’irresponsabilité de l’industrie automobile en présentant des VUS victimes de faux attentats à la bombe. Elle a aussi installé un trajet piétonnier, boulevard Saint-Laurent, permettant aux passants de redécouvrir la Main à travers ses incendies. Parmi ses dernières frasques, le collectif a invité la population, cet été, à émettre des contraventions citoyennes aux conducteurs pollueurs de véhicules surdimensionnés. Pour l’ATSA, l’art doit brasser la cage.

Mais son gros "bébé" demeure l’État d’urgence. "On a organisé l’événement pour la première fois en 1998, raconte Annie Roy. C’était alors pour souligner le 50e anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme. À l’époque, on le faisait symboliquement, en invitant les gens à venir vivre comme des réfugiés. Mais le camp s’est rempli de sans-abri et on s’est rendu compte de la problématique d’une manière bien concrète… Depuis, l’État d’urgence est devenu pour Pierre et moi un rendez-vous avec et dans la rue."

Chaque automne, une kyrielle grandissante de partenaires se greffent à l’événement. Des gens de toutes les disciplines artistiques. Parmi ceux-ci, les grands chefs Normand Laprise (Toqué!), Martin Picard (Au Pied de cochon) et Moustafa Rougabi (La Colombe) organisent un "banquet cochon" pour près de 200 indigents. La population est d’ailleurs invitée à offrir un couvert (50 $) à une personne dans le besoin. "Ça vient vraiment casser l’idée du "né pour un petit pain", dit Annie Roy. Personnellement, je suis allée une seule fois dans ma vie chez Toqué!… C’est en moi, c’est un beau souvenir qui m’appartient. On me l’a donné. Et comme artiste, c’est tout ce que je peux donner: du merveilleux. L’État d’urgence ne réglera pas le sort de la pauvreté, c’est un événement extraordinaire qui fera vivre quelque chose d’extraordinaire à la communauté itinérante et à la population en général."

Même s’il est loin des rendez-vous festivaliers tels que les FrancoFolies ou le Festival de Jazz, Annie Roy croit que l’on peut être fier de l’État d’urgence. "Si un tel événement est possible à Montréal, dit-elle, cela veut quand même dire que l’on vit dans une communauté dans laquelle on peut regarder franchement nos réussites comme nos échecs. Parce que dans notre société qui vénère la performance, l’itinérant est le symbole de l’échec."

État d’urgence
Jusqu’au 27 novembre, place Émilie-Gamelin
Toute la programmation au: www.atsa.qc.ca