L’effet de serres
On attend tout le gratin politique, scientifique, écologique et journalistique du monde (de 8 à 10 000 personnes) du 28 novembre au 9 décembre, à Montréal, pour une rencontre internationale majeure qui devait être l’amorce d’un "Kyoto 2", mais qui a de grandes chances de finir en "sous-Kyoto".
La facture de l’événement sera salée…, 60 millions de dollars au bas mot pour le contribuable canadien…, mais il n’y a rien de trop beau pour tenter de sauver la planète! C’est au ministre canadien de l’environnement, Stéphane Dion, que reviendra lundi prochain (en pleine crise politique à Ottawa) la présidence de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. Dans le rôle du bon Samaritain, il n’aura pas la tâche facile! Hubert Reeves, le prophète, nous le dit déjà: au rythme où nous détruisons la nature, nous sommes sur la voie d’une "sixième extinction" en 60 millions d’années, celle qui pourrait voir "la disparition de l’espèce humaine après celle des dinosaures".
APOCALYPSE NOW
Ce scénario apocalyptique ne fait plus sourciller personne. Comme si cette chronique d’une mort (peut-être) annoncée s’inscrivait dans l’air d’un temps futur. Qu’importe, nous serons tous morts d’ici là et, après nous, le déluge! La fuite en avant, avec son cortège de gaspillage de ressources et de pollutions en tout genre, est menée tambour battant par les multinationales du monde, sous l’œil bienveillant de gouvernements en mal de croissance économique, y compris au Canada.
La toile de fond de l’état du monde étant posée, on peut se pencher sur les efforts laborieux entamés pour limiter les dégâts, ici et à l’échelle internationale. La lutte aux changements climatiques est à cet égard exemplaire. Voilà un sujet d’accord presque parfait: la gravité de la situation est patente, avec des émissions de gaz à effet de serre (GES) en forte hausse, entraînant un réchauffement climatique qui atteindrait de 1,4 à 5,8 degrés Celsius d’ici 2100. À deux degrés seulement de hausse, les catastrophes se multiplient (sécheresses, pénuries d’eau douce, fonte des glaciers, hausse du niveau des mers, inondations côtières majeures, maladies tropicales…). Le problème, dit Michel Béland, directeur général des sciences atmosphériques au ministère canadien de l’Environnement, "c’est qu’on s’en va gaillardement vers un doublement des émissions de GES d’ici 2050, le plus dangereux étant la rapidité des changements climatiques observés partout dans le monde". Entendez par là qu’ils auront des effets irréversibles. "Plus on attend, plus on multiplie les chances de dépasser les deux degrés de hausse des températures en 2100 et plus on devra accélérer le rythme des réductions d’émissions", ajoute Steven Guilbeault, directeur de Greenpeace Québec.
Pour renverser la vapeur, il faudrait limiter drastiquement les émissions de GES. À Kyoto, en 1997, les pays signataires se sont engagés, pour 2008-2012, à réduire de 5 % leurs émissions par rapport aux niveaux de 1990 (6 % pour le Canada, 8 % pour l’Europe). La barre était haute et les trois plus grands émetteurs de GES (États-Unis, Chine et Brésil), absents. À Montréal, on tentera de mettre au point un "plan de match" pour l’après-2012, dans la suite logique du Protocole de Kyoto ou en-dehors, histoire de ramener les grands pollueurs à la table de négociations édulcorées.
AVEC OU SANS BUSH?
On cherche un "terrain d’entente avec les États-Unis (responsables de 25 % des émissions de GES) et les pays en croissance rapide (Chine, Inde, Brésil, Mexique…)" qui n’ont pas de cibles nationales, explique-t-on chez Équiterre, en charge du secrétariat des ONG en environnement pour la conférence. La partie est loin d’être gagnée. Il y a peu, M. Dion se montrait confiant de parvenir à "améliorer le processus" engagé dans le cadre du protocole de Kyoto tout en "innovant". Dans sa mire, "la création de nouveaux ponts avec ceux qui sont restés à l’écart". Car, disait-il, "nous avons besoin de ce dialogue". On le comprend: ce sont les pays dont les émissions de GES connaissent la croissance la plus rapide. "Vous perdez votre temps à tenter de convaincre M. Bush", ont dit en substance à M. Martin début novembre une quinzaine de groupes environnementaux nord-américains. Récemment, M. Dion lui-même admettait que le clivage entre pro et anti-Kyoto était profond et qu’il ne pensait pas "réconcilier les vues de tout le monde"…
OH CANADA!
Stéphane Dion chantera sûrement dès lundi prochain les louanges d’un "Canada, champion de Kyoto"… L’élève appliqué, qui a ratifié le Protocole et imposé à l’arraché son "Projet vert" aux grandes industries du pays, est pourtant passablement paresseux et il aura du mal à atteindre les objectifs de Kyoto. Entre un Nord qui perd le nord (avec des changements climatiques accélérés) et un Sud qui n’en finit pas de couper des arbres, de vendre des gros chars et de "produire" du charbon, du pétrole ou du gaz (des ressources minières génératrices de nouvelles émissions de GES), notre beau Canada fait plutôt piètre figure au chapitre de la lutte aux changements climatiques. "L’appel à l’action", lancé récemment par 18 grandes entreprises, est à cet égard bienvenu, mais il ne saurait faire oublier qu’à l’autre bout du pays, en Alberta, on se prépare à profiter à plein, financièrement, de l’exploitation de fabuleuses réserves de sables bitumineux, à grand renfort d’énergie et de pollution atmosphérique! Signe des temps, au Canada comme ailleurs: le nouveau maître-mot n’est plus de "lutter" mais de "s’adapter" aux changements climatiques…, un glissement sémantique d’importance majeure!