La mort aux trousses
Rendez-vous le 8 décembre à La Tulipe pour une bonne cause: celle de Farley Matchett, condamné à mort au Texas.
Au livre des records Guinness, on pourra certainement inscrire en fin d’année le plus choquant de tous: le cap des 1000 exécutions de condamnés à mort depuis le rétablissement de la peine capitale en 1976 aura été franchi aux États-Unis! Dans ce pays de "liberté", on se bouscule dans le couloir de la mort… Des centaines de condamnés à la peine capitale croupissent en prison, dans des conditions inhumaines, avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Ils sont souvent noirs et pauvres, parfois innocents, parfois coupables… Ils cherchent des recours pour éviter l’exécution quand ils ne les ont pas épuisés, auquel cas il ne leur reste plus qu’à attendre la fin.
Farley Matchett est de ceux-là. Dans sa tête, il "rêve de liberté" et veut encore croire qu’il est possible d’être heureux, d’avoir de l’espoir, comme il l’écrit dans la chanson I Am the People mise en musique par le groupe québécois Balthazar. Nul doute qu’elle sera chantée le 8 décembre prochain, à La Tulipe, lors d’un spectacle-bénéfice organisé en sa faveur. Sur scène, Lhasa de Sela, Thomas Hellman et Balthazar. On veut l’aider à faire valoir ses droits lors d’un ultime recours devant la Cour suprême des États-Unis et médiatiser son cas comme "exemplaire" dans la lutte en faveur d’un moratoire contre la peine de mort au Texas. Car Farley est l’un des "enfermés" afro-américains du Texas. Il est en prison depuis 1991, a été condamné à mort pour meurtre en 1993. Lui plaide la légitime défense: à la suite d’une dispute, il s’est défendu et a tué son adversaire. Son avocat, commis d’office, lui conseille de plaider coupable pour éviter le pire… Las! En 1993, il est condamné à la peine capitale, en quatre jours de procès, avec un avocat qui dort sur son banc. Entre-temps, Farley Matchett est revenu sur ses "aveux" et entame le marathon des recours: de la cour d’appel en 1996 jusqu’à un sixième et dernier recours rejeté au Texas en novembre 2004. Reste la Cour suprême des États-Unis, mais pour seulement passer la rampe de mise en examen du cas, il faudrait des éléments nouveaux… Engager un détective privé et un avocat capable de défendre sérieusement sa cause en Cour suprême coûte cher. Aux États-Unis, en Europe et au Québec, on se mobilise. Gilles Sabourin, d’Amnistie Internationale, appuie sa cause: "Son cas est typique d’un pays où plus de la moitié des condamnés à mort sont noirs, alors qu’ils ne représentent que 12 % de la population. Ils ont souvent été mal défendus et les erreurs judiciaires sont fréquentes."
UN FILM
À La Tulipe, le 8 décembre, Julien Élie présentera le film 999 06 (matricule de Farley Matchett) et il lancera un DVD avec ce film et son précédent, Le Dernier Repas, sur la peine de mort au Texas. Le cinéaste a connu le prisonnier en 1998, par un article de journal. Il lui envoie une lettre, reçoit une réponse "très touchante". Depuis, ils s’écrivent régulièrement. En rentrant du Mexique, la même année, Julien Élie s’arrête à Huntsville, bourgade aux neuf prisons. Il rencontre Farley et en ressort "bouleversé". Le cinéaste n’a "jamais rien vu d’aussi dur. À Huntsville, l’ambiance est lourde. On sent la mort partout et l’indifférence est générale". Dans la prison des condamnés à mort, "on ne sort pas dehors, on n’a aucun contact physique avec les visiteurs, on vous réveille à 3 heures du matin pour le petit-déjeuner"… En 2000, Julien Élie tourne Le Dernier Repas au Texas. En 2004, il entre dans la prison de Farley et obtient le droit de filmer 45 minutes avec lui. 999 060 a été filmé et monté, dit-il, "avec les moyens du bord, en 20 jours, dans l’urgence".
DES ARTISTES
Lhasa de Sela et Thomas Hellman ont plus que la chanson pour point commun. Ils sont tous deux américains d’origine. C’est Lhasa qui a parlé de Farley Matchett à Thomas. S’il a accepté d’être de la partie le 8 décembre, c’est parce qu’il est "contre toute forme de peine de mort, un acte barbare, indigne, quel que soit le crime attribué à un accusé. Je crois, comme Camus, que la personne humaine est au-dessus de l’État et, en tant qu’Américain d’origine texane, je suis en désaccord complet avec la politique de cet État et avec la classe dirigeante américaine".
Manon Chaput, du quatuor Balthazar, a pour sa part connu Farley par Julien Élie. Elle correspond avec le prisonnier depuis au moins cinq ans. "C’est une belle personne. Un lien d’amitié s’est créé entre nous et, par ricochet, avec notre groupe. On a eu envie de faire quelque chose, d’abord en mettant l’un de ses textes en musique, puis en participant à cette soirée-bénéfice. Farley vit dans la terreur depuis plus de dix ans. On en est à nos dernières armes pour amener sa cause en Cour suprême. À travers lui, on veut aussi lutter pour un moratoire au Texas contre la peine de mort, une barbarie qui n’a aucun sens."