Marathon climatique
Société

Marathon climatique

Drôles de vainqueurs à l’arrivée de la course d’endurance qu’aura été, la semaine dernière, la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques: négociateurs des États et ONG environnementales n’ont-ils pas crié victoire un peu vite?

Le ministre canadien de l’Environnement Stéphane Dion se serait bien exempté d’une campagne électorale, lui qui vient de passer plusieurs nuits blanches à tenter de concilier les points de vue des grands décideurs du monde sur la manière de lutter contre les changements climatiques! Il n’a certes pas démérité comme président de la Conférence des Nations Unies qui s’est tenue à Montréal. Mission accomplie pour celui qui rêvait de ramener les États-Unis et quelques pays aux futures économies fortes (Brésil, Chine et Inde) à la table des discussions sur l’avenir de la lutte contre le réchauffement de la planète. Mission accomplie, aussi, pour assurer la survie du Protocole de Kyoto entre 2008 et 2012, puis son suivi après 2012. "Nous avons maintenant un plan pour l’avenir", lâchait-il, fatigué, samedi matin, sous les applaudissements nourris de négociateurs étatiques et représentants d’ONG.

UN PLAN POUR QUEL AVENIR?

L’ONU s’est félicitée que les délégués des 157 pays parties au Protocole de Kyoto aient adopté une quarantaine de décisions qui "vont renforcer les efforts à l’échelle mondiale" pour contrer l’effet de serre. Trois d’entre elles sont particulièrement importantes. Primo: les signataires du protocole vont "engager sans retard un processus afin d’étudier de nouveaux engagements pour la période postérieure à 2012". En clair, ils ouvrent la porte à une suite du protocole. Certains craignaient fort l’absence de continuité à long terme, de 2013 à 2017. La lutte aux changements climatiques nécessitant souvent de lourds investissements, on comprend l’intérêt d’avoir une vision allant au-delà des sept prochaines années…

Secundo: la conférence de Montréal a renforcé le "mécanisme pour un développement propre" (MDP), un outil qui va permettre aux pays riches d’investir dans des projets "verts" sur le terrain des pays en développement, en échange d’une sorte de "permis" de polluer, via des "crédits" grâce auxquels nos industries pourront diminuer leurs cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES)! On fait du propre ailleurs pour pouvoir continuer à polluer chez nous: une pratique qui va faire bien des heureux en Alberta mais qui ne sera pas très intéressante pour notre environnement immédiat… Tertio: les délégués se sont entendus pour instaurer des sanctions applicables aux pays qui n’auraient pas atteint leurs cibles en 2012: on reportera leur "dette" avec intérêts sur la période post-2012 et ils n’auront plus le droit de vendre ou d’acheter des crédits sur les "marchés du carbone".

EUPHORIE INQUIÉTANTE

Au finish, l’optimisme était de rigueur. De négociations de coulisses en coups de théâtre mettant notamment les États-Unis et la Russie en vedette, le "marathon" de Montréal, comme l’a appelé Stéphane Dion, s’est achevé dans l’euphorie, mais une euphorie vaguement inquiétante. Force est de constater en effet qu’on en est encore à la "politique des petits pas" pour gravir une montagne qui ne cesse, elle, de s’élever! Dans un éclair de lucidité indéniable, le ministre-président a lui-même montré l’abîme à venir: "Si nous ne faisons rien de plus qu’aujourd’hui, les émissions de GES auront augmenté de 50 % d’ici 2013, alors que nous devrions les diminuer d’autant." On sait déjà que les cibles de réduction des émissions fixées par le Protocole de Kyoto ne suffiront pas à renverser la vapeur à l’horizon 2012. Pendant que les changements climatiques s’accélèrent dangereusement, les décideurs du monde jouent les tortues et tout le monde semble se satisfaire des maigres résultats engrangés à Montréal pour y faire face. Même les ONG environnementales ont l’air d’avoir abandonné leurs idéaux pour prendre le virage du pragmatisme!

Un exemple de petit pas? Pendant la conférence, tous se sont emballés sur la question de savoir si oui ou non les États-Unis allaient accepter de reprendre le dialogue pour l’après-2012. Juste avant la fin, Bill Clinton – le cadeau-surprise – avait quasiment donné la réponse: après avoir lancé son cri du cœur ("j’aime le Protocole de Kyoto"), il s’attaquait à une vaseuse démonstration sur l’importance pour les "emplois futurs" de "marcher vers l’avenir" et de "maximiser le développement des technologies propres". Même si les États-Unis ne veulent rien savoir de cibles contraignantes de réduction de GES, il affirmait "essentiel de mettre en place une approche multilatérale" à laquelle adhérerait son pays. Dans une logique économique, autrement dit, les États-Unis ont tout intérêt à renouer le dialogue mondial. Réponse le lendemain: l’administration Bush acceptait d’"engager un dialogue… pour une coopération à long terme" en matière de lutte aux changements climatiques. Tout en en fixant les règles les moins contraignantes possible: celles d’un dialogue sans "aucune négociation susceptible de conduire à de nouveaux engagements"!

En tant que voisins immédiats des États-Unis, le plus réconfortant pour nous est ailleurs… dans cette multitude de voix américaines (du Sierra Club aux syndicats, en passant par les représentants de villes ou d’États américains) qui sont venues nous dire à Montréal de ne pas confondre administration Bush et États-Unis. On est loin d’être inactif outre-frontières et nos élus locaux ou provinciaux pourraient même en prendre de la graine! Vingt États, 200 villes représentant 40 millions d’habitants et des centaines d’entreprises mènent déjà sérieusement le combat aux changements climatiques. Le maire de Seattle, Greg Nickels, a été particulièrement éloquent. "Nous pouvons faire et faisons déjà beaucoup localement, sans l’administration Bush et sans le Protocole de Kyoto", a-t-il déclaré en annonçant l’engagement de ces 200 "cool cities" à réduire de 30 % leurs émissions de GES d’ici 2020. Qui dit mieux ici?