Société

À part des autres, de Marcel Simard : L’exutoire

Le réalisateur de Love-Moi (1991), Marcel Simard, revient avec À part des autres. Une œuvre qui s’ajoute à son répertoire filmique de la marginalité.

Cinq jeunes à problèmes. Des éternels marginaux, des décrocheurs en série, des "fuckés". Incapables de trouver leur place dans la société, ils s’évadent dans les paradis artificiels. Heureusement, ils trouvent dans un atelier de création vidéo un exutoire. Pour la première fois, ces âmes hypersensibles prennent conscience de leur talent et commencent à rassembler les pièces qui forment leur identité…

Toute sa jeunesse, Marcel Simard a porté sa grande sensibilité comme un boulet. À l’école, on l’a traité de "fif" parce qu’il pleurait. Et un gars, ça ne pleure pas. Un jour, quelqu’un lui a dit: "C’est formidable, la sensibilité que tu as." "Du coup, dit-il, ma sensibilité était devenue une qualité. Et je suis devenu cinéaste."

Marcel Simard a une formation en sociologie. Depuis le début des années 80, il a réalisé une douzaine de films. Love-Moi, son plus connu, aborde le thème de la violence et de la pauvreté. Le cinéma à caractère social, il en a fait sa spécialité. À titre de producteur chez Virage, boîte qu’il a fondée avec sa conjointe Monique Simard, le cinéaste a produit plusieurs documentaires dont À hauteur d’homme (2003) et Des marelles et des petites filles (1999).

En 1997, il met sur pied l’organisme de réinsertion socioprofessionnelle La Réplique, qui utilise la création artistique comme moyen de raccrochage. S’il existe de nombreux centres du genre au Québec, aucun jusque-là n’utilisait l’art comme moyen d’intégration.

Pendant cinq ans, Marcel Simard encadre donc à La Réplique trois ateliers de cinéma avec des stagiaires, tous des jeunes en difficulté. De cette expérience, il accouche de trois moyens métrages, intitulés Toujours à part des autres, et inspirés de la vie des participants. Son dernier film, À part des autres, est un condensé enrobé de fiction tiré de son travail auprès des raccrocheurs.

Marcel Simard a toujours été sensible à ces jeunes dotés d’un fort potentiel de création. "Dans la marginalité, il y a une part de mal de vivre, dit-il. C’est quelque chose que tu as en toi et qui n’est pas exploité." Celui qui a découvert que sa sensibilité pouvait être une qualité a voulu donner à ces jeunes exclus des réalisations positives.

"L’objectif des ateliers était de pousser les jeunes à se regarder, poursuit le cinéaste. C’était aussi de se projeter sur un écran et de recevoir les commentaires des autres afin d’être poussé vers quelque chose de valorisant." Se mettre sur la table. Souvent pour la première fois.

Aujourd’hui, Marcel Simard est resté en contact avec certains de ses anciens stagiaires. "Un en particulier veut faire de la musique dans sa vie, dit-il. C’est difficile pour le moment, car avant de pouvoir vivre de la musique, il faut manger des croûtes! Mais le fait de décider de devenir musicien, c’est déjà un pas énorme…"

FICTION RÉALISTE

Dans À part des autres, la comédienne Macha Limonchik (La vie, la vie) incarne Sarah, une intervenante dans un centre de réinsertion. Celle-ci engage une cinéaste venue de Québec, Margot (Lucie Laurier), afin d’entreprendre un projet de film avec cinq "multidécrocheurs ". Des irrécupérables.

À travers le travail des stagiaires, Sarah entreprend elle-même un cheminement intérieur. À force de côtoyer des marginaux, elle finit par se confronter à ses propres exclusions.

Macha Limonchik a trouvé le tournage d’À part des autres difficile. "Il fallait être très près de la vérité, dit-elle, car c’est un film qui s’adresse avant tout aux gens de ces milieux-là. On a beaucoup retravaillé le texte." Marcel Simard relativise: tous les films sont complexes à tourner, selon lui. Il faut dire que le cinéaste en a vu d’autres. "En 1993, quand j’ai tourné Les mots perdus, dit-il, je travaillais avec des comédiens qui étaient aphasiques. Et j’ai découvert sur le plateau qu’une des caractéristiques de l’aphasie, c’était la perte de mémoire! Dans mon film Le grand monde (1988), mon comédien principal était atteint d’une maladie mentale. Il est tombé malade après 20 jours de tournage. Chaque matin, je devais réécrire le scénario en tenant compte du fait que mon personnage principal n’était plus là…"

À part des autres
de Marcel Simard
Cinéma Beaubien, du 13 au 26 janvier