Société

Ennemi public #1 : L’humour et le rire des hyènes

Une émission sur les humoristes, animée par un humoriste où l’on interroge presque seulement des humoristes qui en profitent, à la fin, pour régler leurs comptes avec les méchants chroniqueurs qui trouvent qu’il y a trop d’humoristes.

C’est ce que j’ai retenu de la première émission d’une série intitulée Humour PQ, que diffuse le Canal D en ce moment: ses cinq dernières minutes concernant l’immense place réservée à l’humour chez nous. Il y a aussi été question de fric, sujet sur lequel presque tout le monde a patiné avec la grâce plutôt incertaine d’une bande d’hippopotames qui pratiqueraient leur double salto machin chose. Et il a été question d’agents, dont on aura retenu qu’ils sont, comme dans tous les domaines artistiques, des amis qui profitent parfois d’un lien de confiance privilégié pour crosser leurs amis. Nil novi sub sole, comme dirait l’autre.

Mais revenons sur cette question, même si elle paraît un peu vaine: y en a-t-il trop, ou pas? Ah et puis non. Occultons la question pour l’instant, et observons d’abord la réaction de tout ce beau monde lorsqu’on la leur pose: pour la plupart, des visages graves, des moues dégoûtées, même Stéphane Laporte y va de sa pire grimace, affirmant qu’il s’agit là d’un faux débat.

Vraiment?

Oublions les innombrables incursions d’humoristes dans d’autres domaines que le leur, chacune d’entre elles devant être jugée à la pièce. Laissons à Christian Bégin le soin de s’indigner de ces intrusions répétées sur son terrain de jeu, et soulignons plutôt qu’environ soixante-quinze pour cent du marché culturel au Québec appartient au domaine de l’humour. Les trois quarts! Ce n’est pas gros, c’est énorme. Monstrueux.

Oublions la question, disais-je, à savoir s’il y a trop d’humoristes ou non, et demandons-nous plutôt: pourquoi le genre est-il si populaire? Pourquoi se sent-on obligé de mettre de l’humour partout, d’en faire la confiture universelle de toutes les tartines télévisuelles et radiophoniques du Québec, au point où cette confiture finit par n’avoir plus aucun goût, puisqu’on l’a constamment sur la langue?

"Il n’y a pas trop d’humoristes, disait Guy A. Lepage dans ce segment de l’émission qu’anime son ami et collègue André Ducharme, il y a trop d’applications d’humour."

Bonne réplique, mais pourquoi? Pourquoi faut-il que tout soit nécessairement drôle, marrant? Que chaque petit truc soit enduit de ce lubrifiant universel qu’est le rire? Si je vous pose la question, c’est que je n’ai pas de réponse. Ou peut-être le début d’une idée qui puisse expliquer que vous soyez si nombreux à vous rendre à ces spectacles dans lesquels vous vous reconnaissez, puisque ce dont on y parle, c’est de votre quotidien, de votre beau-père qui a l’air d’un pouf quand il s’habille en cuir, de votre voisin qui parle à sa tondeuse.

Un début d’explication qui se résume en un mot: l’ennui. Le vôtre. Et comme une sorte de malaise généralisé, mais je ne parviens pas encore à mettre le doigt sur sa cause exacte.

Je disais que vous êtes nombreux à assister à ces spectacles d’humoristes, à avoir joui des blagues de curé de Guy Mongrain pendant au moins 500 ans à Salut bonjour, à jubiler devant le fif des Mecs Comiques qu’on nous sert à toutes les sauces. J’y reviens, car c’est souvent cet argument qu’on nous écrase à la gueule pour expliquer la prédominance de l’humour dans les médias: la demande. Le nombre. La foule. Et ce qui vient avec, le plébiscite.

Cela nous ramène à cette éternelle question: donne-t-on aux gens ce qu’ils réclament, ou leur impose-t-on, à grandes lampées de ce marketing qui fait tout reluire, des choix qui ne sont pas vraiment les leurs? Et cette foule, cette popularité, est-elle synonyme de qualité pour autant?

Ça me fait penser à cette joke que j’ai lue dans une vieille chronique de Foglia qui, lui-même, y citait un chroniqueur français dont je massacre la phrase pour l’adapter au sujet, d’autant que je ne l’avais pas notée: Il y a des milliers de personnes qui prennent l’autobus à tous les jours, ça ne veut pas nécessairement dire que c’est drôle.

Et si l’idée vous prenait de me demander s’il y a, oui ou non, trop de chanteuses au Québec, je vous répondrai que Natasha St-Pier célèbre cette semaine son retour au pays et que Marjo vient de faire paraître un nouvel album. Enough said.

ooo

Encore de l’humour.

Ma blonde m’appelle au bureau, je suis en train de zigonner cette première chronique de retour des Fêtes dans un état d’hébétude totale.

– As-tu lu le Journal de Québec?

Elle lit le Journal de Québec en lunchant, et de temps en temps, quand elle y voit un truc ahurissant, elle m’appelle pour me le citer, sachant que je ne le lis qu’un jour sur trois, surtout les histoires de meurtres, la colonne de Samson et les chroniqueurs sportifs auxquels je ne comprends jamais rien.

– Quoi? Qu’est-ce qu’y a?

– Ils parlent d’Alain Dubuc, il aurait reçu des cadeaux d’Option Canada.

Autre parenthèse. Ma blonde sait toute l’affection que je porte à ce chroniqueur, non pas pour ses opinions, mais pour cette suffisance qui lui permet de s’élever tout en haut de l’échelle des êtres, et qui ressemble à s’y méprendre à ce qu’on appelle le mépris.

– T’as pas vu ça? Attends que je le retrouve… OK, page 2: "Option Canada a payé à Alain Dubuc, qui était alors éditorialiste en chef du journal La Presse, un billet d’avion de 2616,41 $ en classe affaires pour Calgary et Vancouver, du 17 au 21 avril 1996." Allo, es-tu là?

J’ai eu comme un hoquet. On aurait dit le rire d’une hyène.