Normand Lester au pays des Libéraux
Société

Normand Lester au pays des Libéraux

Normand Lester n’a pas toujours atteint sa cible. Avec Les Secrets d’Option Canada, coécrit avec Robin Philpot, le journaliste d’enquête s’offre une cure de popularité sur le dos des Libéraux et nous sert la preuve de son talent pour la chasse au trésor.

Depuis plus de 10 ans, vous êtes au cœur de quelques-uns des scandales les plus retentissants au Canada. Vous n’êtes pas fatigué?

"Je suis journaliste depuis 42 ans. C’est mon métier et, soyons réaliste, c’est la seule chose que je sais faire. J’en tire même une satisfaction personnelle. Est-ce que c’est une forme de vanité? Je ne le sais pas, mais je sais qu’en principe, je devrais être un paisible retraité de Radio-Canada et passer ma vie à jouer au golf. Je joue très mal, ça doit être pour ça que je fais des enquêtes. La plupart des êtres humains passent leur vie dans un état de désespoir tranquille. Moi, j’ai toujours eu la possibilité de faire des choses qui me fascinaient. Je ne suis pas un has been non plus, je suis encore directement impliqué. D’ailleurs, beaucoup de mes amis sont des gens dans la trentaine ou la vingtaine."

Vous refusez pourtant d’assumer une implication politique, contrairement aux attaques dont vous faites l’objet, notamment de la part de Jean Lapierre.

"Je vais vous donner un scoop: je ne voterai pas pour Jean Lapierre aux prochaines élections (rire)… Sérieusement, mis à part ma participation active au RIN à l’âge de 18 ans, je n’ai jamais milité dans aucun parti. Par contre, j’appuie toute manœuvre et tout parti qui favorise l’affirmation nationale du Québec, parce que je crois que les Québécois forment un peuple différent du peuple du Canada anglais. Ceci étant, Robert Bourassa, Mario Dumont et Jean Charest pensent la même chose! Par ailleurs, j’ai fait des enquêtes qui ont embêté tout le monde. Quand j’ai sorti l’affaire Morin, on m’a accusé de nuire à la cause souverainiste. Ce qui est vrai, c’est que j’ai tendance à faire le jeu de l’opposition, parce que c’est le rôle de la presse de surveiller les gens au pouvoir, et en premier lieu ceux qui détiennent le pouvoir étatique, donc le monopole de la force. Si je me suis intéressé aux services secrets, c’est parce qu’ils constituent l’aspect le plus dangereux de l’État, puisqu’ils fonctionnent dans la clandestinité. C’est la même chose pour Option Canada. Le véritable problème, ce n’est pas la somme en cause, mais le fait que ces 5 millions de dollars ont été dépensés dans le secret."

Le poids de la preuve est d’ailleurs très fort dans votre livre. Pourquoi avoir ajouté des commentaires éditoriaux?

"C’est ce que je fais toujours. Je suis un auteur. Je ne travaille plus pour Radio-Canada, je n’ai donc pas besoin d’être absolument neutre. Je revendique le droit d’analyser les faits et de présenter les choses comme je les vois. Mais si un jour je me trompe, je saurai reconnaître mes torts. Ceci étant, ce n’est pas encore arrivé!"

C’est donc la seule flamme journalistique qui vous anime?

"Mon modèle, c’est Tintin, ça me fascine de trouver des solutions. Concernant Option Canada, dès que la Cour suprême a interrompu l’enquête du Directeur général des élections du Québec, j’ai été le premier à faire une demande d’accès à l’information, mais je me suis frappé à un mur. Il a fallu que quelqu’un décide de m’aider et que je récupère ces fameux documents dans un bac à déchets pour que l’enquête débouche. Ça fait presque 20 ans que je fais des enquêtes journalistiques et certaines s’arrêtent en queue de poisson ou me servent de terreau pour écrire un roman, comme ce fut le cas pour Chimères et pour mon prochain roman Verglas, coécrit avec Corinne de Vailly. Je suis avant tout fasciné par les sciences et leurs limites. Verglas reposera sur des recherches portant sur l’utilisation de la météo comme arme de guerre."

On pourrait presque croire que vous versez dans les théories du complot, en particulier lorsque vous citez Pierre F. Côté, qui parle du Canada comme d’un État de demi-droit.

"Le droit au Canada, comme partout ailleurs, n’est respecté que dans les périodes calmes. Lorsque l’État est menacé, l’appareil et les gens qui le représentent utilisent tous les moyens pour le défendre. C’est ma lecture de l’Histoire de l’État depuis ses premiers jours. Mais je suis avant tout réaliste et un peu cynique, à l’image de mon idole, Raymond Aron. Je respecte beaucoup la science, j’essaie de ne pas me raconter d’histoires sur moi-même et sur les autres, je pense que la seule façon de justifier notre existence est d’essayer de nous conduire de façon rationnelle et, dans la mesure de nos moyens, de contribuer au bien-être général. La paranoïa fait partie de la nature humaine, c’est une manière de trouver un sens aux choses qui nous entourent. Notre nature favorise donc les théories de la conspiration. Au fond, je suis très darwiniste!"

Ce qui vous amène à penser que l’information contenue dans votre livre aurait fini par sortir, tôt ou tard?

"Je pense qu’il est impossible, dans une société comme la nôtre, de cacher une histoire, contrairement à ce que croient les paranos. Les grands groupes de presse ont intérêt à sortir des scoops pour attirer des lecteurs. Ça favorise le bas de gamme, mais aussi la liberté et la recherche constante d’information. Finalement, le système fonctionne, pas pour des raisons éthiques, mais pour des raisons économiques. La nouvelle aurait donc fini par sortir, avec ou sans moi. C’est une question de sélection naturelle!"

Quel impact pensez-vous obtenir sur le plan politique et social?

"C’est impossible à déterminer. Certains de mes scoops n’ont eu aucun impact dans la presse. En 1995-96, j’ai révélé l’existence d’un réseau lié au Groupe islamique armé algérien au Canada, qui faisait de la collecte de fonds grâce à un faux bureau d’emploi. La nouvelle est passée quasiment inaperçue. Depuis le 11 septembre, la même affaire aurait un retentissement international. Dans le cas d’Option Canada, les gens disent que j’ai rivé le dernier clou dans le cercueil des Libéraux. Mais vu les sondages, je dirais plutôt que je suis venu au secours de la victoire!"