Vous n’apprendrez rien dans cette chronique, sinon que le cynisme politique n’est pas nécessairement une posture que l’on adopte par choix. Parfois, il s’agit d’un rêve qui dort très profondément, bercé par les obligations du quotidien. D’autres fois, c’est de l’idéalisme fatigué, voire brisé à force de se buter à une vision monolithique du monde, à sa lâcheté.
Ce cynisme, c’est aussi parfois de la mollesse, dites-vous? Vous n’avez pas tort. Cette mollesse qui engourdit la pensée vient inévitablement avec le confort que procurent les démocraties comme la nôtre. Celles des pays terriblement en paix, comme le dirait Wajdi Mouawad.
Vous n’apprendrez rien dans cette chronique, sinon que son titre provient d’un recueil de courts essais signés par Maxime-Olivier Moutier (Pour une éthique urbaine), que j’ai commencé à relire par plaisir, pour finalement m’apercevoir que certaines idées qu’il y exprime ont, au fil du temps, ressurgi dans cet espace dont je dispose.
Preuve patente que vous n’apprendrez certainement rien de neuf dans cette chronique, son auteur est un ruminant qui assimile puis régurgite la pensée des autres pour la remâcher à son tour, puis il la redigère pour enfin la vomir sur un écran cathodique qui lui donne des maux de tête, et un peu la nausée des fois.
Mais nous parlions politique, cynisme et désillusion. Et d’apprendre, aussi. Permettez une question: qu’avez-vous appris dans cette campagne électorale que vous ne saviez déjà? Par là, je veux dire, avez-vous, au fil des entrevues, des débats et des discours, retenu une seule idée qui n’aurait rien à voir avec l’économie, la finance, les impôts ou la péréquation, mais avec les aspirations des citoyens de cet étrange pays, bref, qu’avez-vous appris sur les raisons qui nous poussent à vivre ensemble?
Il y a bien le Bloc qui parle d’identité, de culture, dites-vous? Je vous trouve bien fins de lui trouver ces qualités, puisqu’il se trouve qu’il parle surtout de fric, le Bloc. Bien sûr, il cause d’indépendance, d’un autre "vivre ensemble", mais du bout des lèvres. Ce dont il parle surtout, c’est d’arnaque, et quand il le fait, ce sont les millions du scandale des commandites dont il s’indigne, plutôt que de l’entreprise visant à fabriquer une identité canadienne en carton-pâte.
Ce n’est pas du principe dont on use pour vous convaincre, ni même de cet autre "vivre ensemble", mais du montant soustrait de vos impôts. Car au Bloc, on n’est pas plus con que chez les autres partis. On sait que le fric, cette intangible suite de chiffres qui s’additionnent pour former des sommes parfaitement surréelles, c’est cela, et seulement cela, qui "drive" le discours politique. On sait qu’au Québec, ce qui compte, comme partout en Occident, c’est la taxation, le pouvoir d’achat, le commerce.
Sa devise du moment a beau être: "Heureusement, ici, il y a le Bloc", tout le monde sait qu’au fond, ce parti partage le même slogan que les vendeurs de liqueur brune…
Ici, c’est Pepsi.
"Je ne sais pas pour vous, mais moi, CRISS que j’ai envie d’y croire. À n’importe quoi, mais à quelque chose. Pas en Dieu ni en Raël, mais en quelque chose qui serait "nous". En quelques principes à travers lesquels on se reconnaîtrait", écrit justement Moutier dans ce même texte duquel j’ai repiqué mon titre. Preuve que je n’invente rien, que ce que j’avais lu il y a déjà quelques années avait scarifié ma mémoire, les phrases suivantes, écrites quelques heures avant de me plonger dans cette lecture: "Je veux croire. Mais en quoi? Que voulons-nous, collectivement? Quelqu’un pose-t-il encore ces questions? Est-ce le rôle des politiciens de les poser? Sinon, qui le fera?"
Après, plus rien. Le carré blanc de la page et la barre d’outils du traitement de texte, that’s it. Comme si ces questions m’avaient paralysé, terrifié, par le vide sidéral qu’elles révèlent.
Ainsi, nous sommes sans doute des milliers, que dis-je, des millions, dans la même situation, à choisir la certitude du mépris pour la chose politique, au lieu de se suspendre au-dessus du vide idéologique.
Nous ne sommes pas violents. Nous ne descendons pas dans les rues, nous ne cassons rien. Nous allons même voter, la plupart du temps, mais sans conviction. Nous consommons, sans dégoût de la chose, mais sans avoir l’impression que c’est là que réside le sens de la vie non plus. Nous sommes dociles.
Non, ce n’est pas de la haine qui nous habite. Plutôt un sentiment d’impuissance. Ce n’est pas de la colère, mais de la nostalgie, de la tristesse. Une impression faussée par l’idéalisation d’un passé que certains n’ont pas même connu, mais dont on dit que les idées y tenaient une place importante.
Je ne sais pas pour vous, mais pour ma part, je ne suis pas vraiment fâché de cet état de nos démocraties inconsistantes. Je suis surtout déçu.