"Les Canadiens peuvent être en désaccord. Mais il en faut beaucoup pour qu’ils haïssent avec intensité quelque chose ou quelqu’un. Et habituellement, cela a plutôt à voir avec le hockey."
– Stephen Harper, nouveau premier ministre du Canada
Ce n’est pas qu’une volonté de changement qui a poussé les électeurs canadiens à montrer la porte aux libéraux. Ce ne sont pas non plus les révélations de la commission Gomery, contrairement à ce que vous pouvez croire.
Enfin, peut-être un peu. Mais c’est un détail. Si, si, un détail. Minuscule, oserais-je dire.
Dès lors, c’est encore moins le dernier ouvrage de Normand Lester qui a tiré la chaise de sous les fesses tannées des Pierre Pettigrew et Lisa Frulla, quoi qu’en dise cette dernière.
Ce qui a causé la perte des libéraux, c’est plutôt une attitude. La suffisance. Une vision de la politique, mais surtout du pouvoir. Le mépris d’une élite qui dit au peuple: check ben, tu comprendras pas, donc ça ne sert à rien que je t’explique, mais MOI, je sais ce qui est bon pour toi; obtempère, et tu vivras heureux d’un océan à l’autre. Promis, juré.
Ce qui a tiré le tapis de sous les pieds de Paul Martin, c’est finalement l’outrecuidance d’un gouvernement qui a décidé tout seul de ce que devraient être les valeurs canadiennes, et qui s’est fait passer pour un défenseur de ces valeurs, auxquelles il n’a pourtant jamais adhéré.
Et le refus du bouclier antimissile? Et le mariage gai? Et la bataille du bois d’œuvre? Tout cela n’était que posture, frime, des détails qui paraissent admirables sur une feuille de route, relevant cependant plus du cosmétique que de la conviction idéologique. L’attitude anti-américaine, l’ouverture à la décriminalisation de la marijuana: tout cela n’a jamais été autre chose qu’une entreprise de séduction, et qu’une tentative de fabriquer l’idée d’un pays progressiste, même s’il ne l’est pas vraiment. Un peu comme le love in de 1995 et les commandites post-référendaires qui n’auront, eux aussi, été que le navrant spectacle d’un gouvernement tentant de projeter une image d’unité nationale et de patriotisme là où il n’y avait en fait que de la dissension. Voire une fracture multiple.
Cela aura pris du temps, mais on aura fini par en avoir assez de ce show. Comme on a fini par se lasser du perpétuel recommencement d’Elvis Story.
Aussi, mardi matin, bien que je ne connaisse pas trois personnes ayant voté pour le Parti conservateur, rarement avais-je vu un aussi beau lendemain d’élection. Partout, de l’animation, des sourires. Mais des sourires de loups. La sadique satisfaction d’avoir puni, le cruel bonheur d’imaginer Stéphane Dion et Jean Lapierre en pions de l’opposition, l’impression d’une douce revanche sur ceux qui semblaient profiter d’un droit divin à la gouvernance pour en abuser.
En voyant tous ces visages rayonnants, maculés du sang de leurs victimes, je me suis souvenu de cette phrase, prononcée la semaine dernière par Rick Mercer, l’animateur de la plus pissante émission politique anglophone (The Mercer Report, à la CBC), qui se moquait brillamment de la tentative désespérée des libéraux de faire passer les conservateurs pour des suppôts de Satan: "Quand on prend les électeurs pour des imbéciles, on doit s’attendre à perdre."
C’est ce que l’équipe de Paul Martin a douloureusement constaté lundi soir: il y a des limites à se foutre de la gueule du monde.
Car, répétons-le, ce n’est pas le scandale des commandites ni celui d’Option Canada qui ont coûté cette élection aux libéraux. Ou si peu.
La raison de cette défaite se résume en un mot, une attitude: l’arrogance.
Et peut-être aussi dans la mesquine envie de se donner la possibilité de dire: Hey Pettigrew! C’est qui le loser astheure?