Iran dévoilé
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Iran dévoilé

La journaliste Marie-Ève Martel livre, avec Passeport pour l’Iran, le récit épique de son voyage en terre perse, deux ans avant l’élection du très controversé président Mahmoud Ahmadinejab, et écorche au passage quelques stéréotypes. Édifiant.

Vous décrivez une société iranienne complexe, à des années-lumière de l’image d’homogénéité couramment véhiculée. Quitte à réellement surprendre, comme lorsque vous faites référence au mariage temporaire, le sigheh.

"C’est entre autres ce qui m’a portée à choisir l’Iran comme destination. J’avais envie de découvrir ce qui se cachait derrière cette culture que je savais complexe, dans un pays a priori plutôt fermé sur l’Occident et dont l’image, en particulier depuis l’affaire Kazemi et la crise du nucléaire, est très négative. Le mariage temporaire est un des aspects de cette complexité, même s’il n’est que très peu pratiqué. Il s’explique en partie par le fait que les Iraniens sont chiites, donc pratiquent un islam plus ouvert. On peut le constater dans les madrassas, ces écoles coraniques. Le débat y est beaucoup plus présent que chez les sunnites, qui s’en remettent uniquement aux mots du Coran. La société iranienne est d’ailleurs beaucoup plus ouverte qu’on ne le pense, et pas exempte de contradictions. Même si les femmes y sont traitées à bien des égards comme inférieures aux hommes, elles sont également plus nombreuses sur les bancs de l’université."

On découvre dans votre livre que la culture occidentale, y compris la presse étrangère, est, contre toute attente, très présente à Téhéran.

"Plusieurs journaux iraniens sont écrits en anglais, et on peut même se procurer dans certains kiosques le journal The Economist! Les Iraniens ont trouvé différents moyens d’accès à la culture occidentale, y compris les films illégaux censurés par l’Ershad, le conseil islamique de propagande. Mais tout ça se passe toujours à l’intérieur de cercles privés, dans les maisons. J’ai assisté à plusieurs fêtes illégales, dont je sais qu’elles sont pratique courante chez les jeunes. J’ai constaté que ces jeunes, du moins dans certains milieux aisés, se parlaient entre eux très librement, y compris de sexualité, et qu’ils aspiraient à plus de liberté. Toutefois, ils restent très fiers de leur culture et de leur mode de vie, qu’ils n’échangeraient pour rien au monde contre la culture américaine."

Qu’est-ce qui explique alors les résultats des dernières élections et l’arrivée au pouvoir du très conservateur Mahmoud Ahmadinejab?

"Les facteurs sont complexes, mais je dirais qu’il s’agit d’abord d’une réponse aux promesses non tenues par le régime précédent, censé amener un véritable vent de liberté et de démocratie. L’ex-président Khatami, bien qu’il ait été réformateur et qu’il ait été élu au suffrage universel, avait les mains liées par l’omniprésence dans la vie politique et sociale de l’ayatollah Khamenei. Désabusés, les Iraniens, et en particulier les jeunes, qui représentent les deux tiers de la population, se sont désintéressés de l’enjeu présidentiel."

Vous pensez donc que la situation n’est pas si noire qu’on la présente, et qu’une intervention américaine en Iran n’est pas à craindre?

"Je ne crois pas que cette élection était représentative du désir de la population de revenir à des valeurs ultraconservatrices, mais qu’il s’agissait plutôt de l’expression d’une désillusion et d’une réaction aux interventions américaines en Irak et en Afghanistan. Plusieurs des Iraniens que j’ai rencontrés m’ont dit avoir peur d’être les prochains sur la liste. Il faut dire que les Iraniens sont plutôt friands de conspirations et qu’ils voient la main des USA partout, ce qu’on peut comprendre dans la mesure où les États-Unis ont effectivement eu un rôle assez sombre à jouer, notamment dans le coup d’État de 1953 fomenté par la CIA. Les récentes déclarations du président concernant le programme nucléaire relèvent du même état d’esprit, les Iraniens n’admettent pas qu’on leur dicte leur conduite, au même titre qu’ils n’aiment pas qu’on les appelle des Arabes, parce qu’ils sont très fiers de leur culture. En cas d’attaque, ils se battraient très fort pour la défendre! J’ai personnellement foi en la jeunesse iranienne et je crois que les Américains savent à qui ils ont affaire."

Votre interaction avec les hommes iraniens est parfois cocasse dans le livre. Le fait d’être une femme est-il avantageux pour votre récit?

"Bien sûr. Pour les côtés négatifs, j’ai pu me rendre compte de ce qu’Internet et la pornographie véhiculent comme image de la femme occidentale: une femme prête à baiser à droite et à gauche! Les jeunes Iraniens s’essayent donc assez souvent. Parmi les avantages, l’attitude très paternaliste des hommes plus âgés vis-à-vis de moi m’a grandement facilité les choses. Là encore, contrairement aux idées reçues, je ne me suis jamais sentie autant en sécurité qu’en Iran!"

265 pages
Lanctôt Éditeur