Les nouvelles figures de la chanson : Demain sera bien
Société

Les nouvelles figures de la chanson : Demain sera bien

Pour une cinquième année, le Festival international de la chanson de Granby présente sa Tournée des lauréats, qui s’arrête à Montréal au Cabaret, le 1er février. Voir profite de l’occasion pour se pencher sur l’aujourd’hui – et le demain – de la chanson d’ici.

Chaque automne, depuis 1969, le Festival international de la chanson de Granby (FIGC) crée, en quelque sorte, l’avenir de la chanson d’ici. Fabienne Thibault (1974), Jean Leloup (1983), Lynda Lemay (1989), Isabelle Boulay (1991) et Pierre Lapointe (2001) ont tous remporté une édition du plus ancien concours de chanson au Canada. Au fil des ans, Granby s’est ainsi imposé comme la principale pépinière d’auteurs-compositeurs-interprètes, d’interprètes et de collectifs francophones. Bon an, mal an, ce sont 400 de ces futures étoiles de la chanson qui s’inscrivent au Festival!

On dit partout qu’après des années plus difficiles, la chanson québécoise connaît un regain de popularité et un renouveau en termes de musicalité et de thématiques. Or, qu’en pensent les principaux acteurs du Festival? Pour François Tétreault, directeur général, l’assertion est tout à fait fondée: "On a rarement eu autant de talents à une même époque, au Québec. Je pense à Vincent Vallières, Dumas, Mara Tremblay, Pierre Lapointe et Yann Perreau, entre autres. Quant au Festival, depuis mon arrivée il y a 15 ans, le niveau général des candidats n’a cessé d’augmenter. Ça s’explique d’abord parce que les lieux d’enseignement de la chanson sont plus nombreux que jamais. Nos collectifs sont plus tight, nos paroliers n’ont jamais eu de si belles plumes, nos interprètes ont des voix plus mûres et mieux maîtrisées. De plus, l’accès facile à de nouvelles technologies fait en sorte que les jeunes qui arrivent ici sont déjà des pros du son, on juge de plus en plus de démos aux arrangements très élaborés. Enfin, la profession de musicien est vue différemment aujourd’hui. Il y a 15 ans, lorsqu’un jeune annonçait à ses parents qu’il voulait devenir artiste dans la chanson, ceux-ci répondaient: et tu vas faire quoi pour travailler?"

Monique Giroux, animatrice de l’émission Fréquence libre sur les ondes de la radio d’État et grande amante de la chanson francophone, abonde dans le même sens: "La chanson d’ici est très en santé! Elle est plus que jamais ouverte sur le monde, elle est audacieuse, baveuse, engagée… Avec les ordinateurs, les artistes peuvent créer des chansons techniquement fabuleuses, ce qui fait que les très gros talents n’ont plus à avoir de très gros moyens comme avant pour produire leurs chansons. Sans compter que ces chanteurs, chanteuses et groupes ont mieux compris l’importance du marketing et des médias, et ils savent s’en servir."

LA TENDANCE? L’ABSENCE DE TENDANCES!

Disco, new wave, pop ou rock, les épithètes d’hier ne tiennent plus la route lorsque vient le temps de décrire la chanson d’aujourd’hui. Benwala, le collectif gagnant de la dernière édition (qui se produira sur les planches du Cabaret en compagnie de l’artiste invité Yann Perreau, d’Alexandre Farina, lauréat auteur-compositeur-interprète, et d’Angélique Duruisseau, lauréate dans la catégorie interprète), est l’incarnation même de l’éclectisme et du métissage des genres dont font preuve les nouvelles figures de la chanson: le sextette donne, grosso modo, dans le rock-progressif-de-chansons-de-party-jazz! "Il n’y a plus de modes!" lance Luc De Larochellière, enseignant en écriture à l’École nationale de la chanson, directeur artistique du Festival et "grand frère" des finalistes depuis trois ans. "Avec les moyens technologiques dont il dispose, chaque artiste peut aller au-delà de la mode et créer sa propre originalité. Et de plus en plus, les compagnies de disques recherchent cette originalité, ce son nouveau. Cela dit, je constate une certaine réminiscence des années 70… On s’est remis à utiliser le joual, pratiquement évacué pendant presque dix ans, comme langage d’écriture. Après un trip sur le synthétique, on revient aux instruments acoustiques, guitare, basse, batterie et piano, comme dans le bon vieux temps. Dans le travail sur le langage, les sujets abordés, le look et la façon dont se présentent les artistes, il y a une véritable quête de naturel, d’authenticité."

"D’un côté, on a des artistes pour qui les thèmes semblent être devenus secondaires, comme les Dumas, Ariane Moffatt, Karkwa, Pierre Lapointe, Yann Perreau. Ceux-là sont plus impressionnistes dans leur manière de travailler, ils cherchent plus à créer des atmosphères, à exprimer une émotion, qu’à dire crûment les choses. Et de l’autre côté, il y a la tendance Cowboys Fringants / Les Trois Accords, qui écrivent presque sans métaphores, qui sont très terre à terre", analyse Monique Giroux.

La marraine de la dernière édition du FICG, Laurence Jalbert, qui fait de la chanson depuis 30 ans, constate quant à elle que les finalistes de cette année ont presque tous des propos très sombres: "Leurs réflexions par rapport à la vie sont si radicales! Ils ont tous très peur de l’avenir. Et je les comprends! Mais je me demande si, de tout temps, la chanson n’a pas servi d’exutoire… Les premières chansons seraient des vers de la poète grecque Sappho mis en musique; eh bien, c’étaient des chansons qui exprimaient elles aussi de la peine! Mais de ces chansons naît de l’espoir: pas un jour ne passe sans que quelqu’un me dise que je l’ai aidé avec telle ou telle chanson, aussi difficile soit-elle. La chanson continue d’avoir un impact sur la société."

ET DEMAIN?

Les chiffres le prouvent, le marché du disque décline de quelques pour cent chaque année (sauf peut-être au Québec, où existe toujours une volonté d’encourager les artistes locaux en achetant leurs œuvres). Ici encore, du côté de l’amateur de musique, l’accès à de nouvelles technologies modifie très rapidement la structure de l’industrie musicale. Selon les scénarios les plus pessimistes, le support CD n’en a plus pour longtemps; les radios, comme les grosses boîtes de distribution, seraient elles aussi appelées à disparaître puisque les intervenants entre l’artiste et l’acheteur seront de moins en moins nombreux. Des études récentes prouveraient cependant que les fichiers MP3 favorisent la vente de CD…

"Le problème, c’est la diffusion de la chanson, d’où la nécessité pour nous d’accompagner les lauréats dans leur carrière post-Festival", conclut François Tétreault. On assiste effectivement depuis quelques années à un désengagement des diffuseurs télé et radio par rapport à la chanson, sauf peut-être à la radio de Radio-Canada. Ce désengagement a par ailleurs favorisé l’émergence de petits lieux de diffusion (bars et cafés) et de moyens alternatifs pour faire connaître sa musique (site Internet, baladodiffusion, etc.).

Quoi qu’il en soit, avec une évolution si rapide, personne ne peut prédire avec certitude où en sera la chanson dans quelques années, lorsque les Benwala, Alexandre Farina et Angélique Duruisseau seront devenus les nouvelles coqueluches des amants de la musique d’ici…

31 janvier à 20 h
À la Salle Maurice-O’Bready
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