CISM : La marge sort de la marge
Sortie d’une débâcle financière, CISM célèbre son 15e anniversaire en grande pompe. En quête de maturité et de crédibilité, la radio de l’Université de Montréal vit une mutation, une véritable crise d’adolescence.
L’affiche aux dimensions démentielles orne le mur de la station de métro Berri-UQAM, au bout du quai direction Angrignon. On peut y observer le dessin d’un guitariste rock, absorbé dans la réalisation d’un solo qu’on imagine assourdissant. Règle générale, cet emplacement publicitaire appartient à des multinationales disposant d’un généreux budget promotionnel, telles Apple et ses iPod ou Gap et ses vêtements. Or, ce nouveau panneau aussi grand qu’une piscine creusée de banlieue est l’œuvre d’un OSBL, d’une radio alternative qui n’a pas l’habitude de jouer dans la cour des grands médias disposant d’affiches aux abords des autoroutes, de pubs télé ou d’une flotte de 4 x 4 aux couleurs de la station.
En fait, CISM 89,3 FM, la radio des étudiants et étudiantes de l’Université de Montréal, ne possède qu’une vieille Pontiac 1951 qui tombe en ruine, et qui, ironiquement, n’offre même pas la radio FM à son bord. Cette voiture de collection, vous la verrez peut-être à l’entrée du CEPSUM le 17 février prochain, alors que le 89,3 célébrera son 15e anniversaire. La fête sert justement de prétexte à cette campagne d’affichage sans précédent pour une radio alternative québécoise.
Et dire qu’il y a six ans, la station saluée par Les Trois Accords lors du dernier Gala de l’ADISQ menaçait de fermer, faute d’une administration efficace.
REDRESSEMENT ET INTÉGRITÉ
CISM est avant tout l’histoire de passionnés de musique qui, après dix ans de dur labeur, obtiennent en 1991 une fréquence FM d’une portée de 10 000 watts, soit un rayon d’écoute de 70 km ayant pour point central le mont Royal. Le raisonnement relève du cliché, mais qui dit tripeux de musique marginale ne dit pas forcément gestionnaire de premier plan. À la fin des années 90, la station sombre dans un gouffre financier et a peine à rembourser ses créanciers, dont l’UdeM qui abrite ses locaux.
"Ce sont plein de petits détails qui coûtaient très cher à la station, affirme le directeur général Guillaume St-Onge, bachelier en ingénierie âgé de 24 ans. Par exemple, CISM dépensait des milliers de dollars en interurbains, jusqu’à ce que Dave Ouellet, DG en poste de 2000 à 2005, décide de bloquer les appels à 11 chiffres sur les téléphones de nos locaux. Nous appartenons aux étudiants de l’université qui nous remettent deux dollars chacun par session. Avec des dépenses contrôlées, cette somme peut et doit nous permettre de fonctionner sans être déficitaire. Il a fallu serrer la vis, mais nous y sommes arrivés. Si on peut se permettre d’afficher dans le métro aujourd’hui, c’est grâce aux revenus publicitaires et à ce ménage qui s’imposait. Même constat pour nos nouveaux studios: un investissement de 60 000 $ fait sans emprunt."
Ce redressement amorcé par Dave Ouellet et poursuivi par son successeur n’eut aucun impact sur la programmation de CISM, qui, fidèle à son mandat du CRTC, continue de faire entendre des artistes audacieux et absents des radios commerciales. À l’heure où les grands réseaux ont recours à des ordinateurs préprogrammés pour diffuser leur musique, le 89,3 se fie à ses animateurs, libres de faire jouer les disques qu’ils affectionnent, que ce soit un compact produit par Audiogram ou un démo fait maison, tiré à trois exemplaires. "Sur 80 émissions, la station compte une cinquantaine de mélomanes qui assistent à des concerts et suivent la scène indépendante québécoise, explique le directeur musical Martin Roussy. Ces gens ne peuvent pas se tromper."
Ce flair, on a pu le constater à plusieurs reprises au cours des dernières années, alors que le 89,3 s’est emparé des Cowboys Fringants et des Trois Accords bien avant que les autres fréquences n’emboîtent le pas. Dans leurs remerciements au Gala de l’ADISQ, les cerveaux derrière Hawaïenne ont justement salué ladite radio, sans qui leur ascension n’eût pas été possible. "Au lendemain du gala, de nombreuses compagnies m’ont téléphoné afin que leurs artistes plus établis accèdent à nos ondes, poursuit Martin. Mais CISM ne fonctionne pas comme ça. Nous n’imposons aucun choix musical à nos animateurs. Si Malajube joue en malade, c’est que le groupe reflète les goûts de notre équipe. C’est comme notre palmarès, tu ne peux pas avoir plus transparent que ça."
Pour qu’une pièce entre sur le top 30 francophone de la radio, elle doit être suggérée par un animateur ou par le comité musical. Le copinage et les contrats publicitaires des labels n’influencent en rien le son de la station. Chaque semaine, Martin compile le nombre de diffusions de chaque pièce du palmarès et les reclasse en conséquence. Ainsi, CISM conserve une démocratisation musicale, gage de diversité.
VOIR GRAND
À l’heure où tous vilipendent les radios commerciales pour leur manque de variété, CISM offre une alternative de choix sur la bande FM. Reste maintenant à rejoindre le Québécois moyen qui ignore l’existence de la station ou qui la perçoit comme une radio-école broche-à-foin.
Cette semaine, j’entendais sacrer et parler de "noune" dans une émission humoristique diffusée à CKOI. "Le français des animateurs bénévoles de CISM ne rivalise peut-être pas avec celui des gens de Radio-Canada, mais jamais de tels propos ne seront tolérés ici", commente Guillaume Vincenot, directeur de la programmation qui s’est efforcé de donner une unité à la grille horaire. "La scène alternative nous connaît, soutient de son côté Guillaume St-Onge. Nous souhaitons maintenant rejoindre la masse lassée des CKOI, Radio Énergie et Cité Rock Détente. Notre campagne publicitaire, notre entrée dans les sondages BBM et notre concert 15e anniversaire s’inscrivent dans cette démarche. Oui, nos têtes d’affiche sont des artistes populaires (Les Cowboys Fringants, Les Trois Accords, Yann Perreau, Vincent Vallières, Mara Tremblay), mais ils ont tous été numéro un d’abord sur nos ondes. Ils nous permettent aujourd’hui d’attirer un large public qui les a connus grâce aux radios commerciales, mais qui serait susceptible d’aimer notre station."
Avec une telle brochette d’artistes, le concert risque d’attirer plus de gens que s’il mettait en vedette les Hot Springs, André ou Gatineau qui composent présentement le son CISM. Mais ces musiciens plus locaux ne sont pas en reste, puisque chaque spectateur présent au CEPSUM recevra gratuitement une compilation renfermant les pièces d’une vingtaine de groupes obscurs québécois, chouchous de la radio. "Les gens découvriront ainsi notre large registre et seront sans doute tentés de nous écouter dans leur voiture. Avec sa diversité musicale, CISM devrait être en mémoire sur toutes les radios d’auto. Écoutez-nous. Si une pièce vous déplaît – ça peut arriver -, changez de poste. Mais revenez sur nos ondes cinq minutes plus tard, je vous jure que la prochaine chanson sera différente."