Un sur mille, de Jean-Claude Coulbois : Réfléchir tout haut
Société

Un sur mille, de Jean-Claude Coulbois : Réfléchir tout haut

Le dramaturge et metteur en scène René-Daniel Dubois est aussi rare dans notre paysage culturel que le Québécois dans le vaste monde. Un sur mille, un documentaire de Jean-Claude Coulbois sur le parcours de l’artiste.

Il y a un peu plus de 6 milliards d’humains sur Terre. Sur le compte, 7 millions de Québécois. Proportionnellement, pour chaque mille Terriens, il y a donc un Québécois. Un sur mille…

C’est en 1994, alors qu’il travaillait à un documentaire sur le théâtre de création au Québec, que le réalisateur Jean-Claude Coulbois a rencontré pour la première fois l’auteur de Being at home with Claude, René-Daniel Dubois. Ce jour-là, une simple entrevue avec l’enfant chéri du théâtre d’ici s’est transformée en un tête-à-tête exceptionnel. "À ce moment, dit Jean-Claude Coulbois, René-Daniel me semblait amorcer une réflexion sur sa pratique qui était en rupture totale avec celle des autres personnes que j’avais interviewées pour mon film."

Cette réflexion de René-Daniel Dubois était celle d’un intellectuel, d’un artiste qui s’est toujours senti comme un extraterrestre. Dans une société où, dit-il, "les intellectuels sont muets et les artistes tatas". C’était surtout la réflexion d’un libre penseur qui s’interroge. Sur sa fonction d’artiste, bien sûr, mais aussi sur la culture au Québec, corrompue par la "pensée industrielle", et sur l’usage que l’on fait de cette culture.

Avec sa caméra, Jean-Claude Coulbois a voulu suivre le développement de cette pensée bouillonnante. Sans savoir où elle mènerait…

Le tournage a débuté à l’automne 1995, au moment même où René-Daniel Dubois "tirait la plogue de sa belle carrière". Fin novembre, le dramaturge s’apprêtait à présenter à la Nouvelle Compagnie théâtrale (Théâtre Denise-Pelletier) la reprise de sa pièce écrite en 1981, Ne blâmez jamais les Bédouins. Sur une autre scène, politique celle-là, le "Non" venait de l’emporter au deuxième référendum sur la souveraineté.

Quelques jours après la défaite souverainiste, René-Daniel Dubois, dans une entrevue au quotidien français Le Monde, qualifiait le référendum de "tentative de suicide qui n’a pas marché". Dans une série d’invectives, il soutenait que le mouvement souverainiste était une "vaste entreprise de chantage émotif", que le nationalisme québécois, comme le fédéralisme canadien, n’était qu’une autre façon pour les Québécois de devenir américains et que la notion de peuple québécois telle que définie par le camp indépendantiste était un leurre…

Vous dire la controverse. "À partir de 1995, je suis devenu un méchant", raconte René-Daniel Dubois. Le Devoir traitait son analyse de "caricaturale". Le dramaturge s’est retrouvé sur toutes les tribunes à défendre ses positions, à recevoir les critiques de toutes parts. Et sa pièce Ne blâmez jamais les Bédouins fut boudée.

Dans leurs articles, les journalistes nommaient alors René-Daniel Dubois par ses initiales, RDD. Dans le domaine de la gestion des déchets, c’est le sigle utilisé pour "Résidu domestique dangereux". Drôle de coïncidence tout de même…

Quelques mois après l’échec référendaire, René-Daniel Dubois délaisse ses activités théâtrales et se lance dans l’écriture d’un essai, Cahiers d’un Hobbit, auquel il consacrera quatre années, sans jamais rien publier. Un essai pour dire ce qu’il pense, notamment du consensus autour du concept d’"identité québécoise", jamais remis en question. "C’est avec cet essai que j’ai commencé à creuser l’histoire de la société québécoise", dit René-Daniel Dubois. Entre autres, il cherche à comprendre pourquoi la première politique culturelle du Québec, présentée dans les années 60 par le ministre des Affaires culturelles du Québec, Georges-Émile Lapalme, a été "tablettée" sans jamais avoir été mise en œuvre. Il cherche à savoir, en somme, pourquoi cette culture, le fondement de notre "identité", nous est si chère en paroles, mais si peu en gestes…

SUR LES TRACES D’UNE PENSÉE

Le tournage d’Un sur mille ne devait durer que deux ou trois ans. Il s’est échelonné sur une décennie. "Ce film-là brasse beaucoup d’idées, dit Jean-Claude Coulbois. Mais mon souci n’était pas de savoir si René-Daniel avait raison ou pas, c’était d’arriver à la vérité de cet homme."

En documentant la prise de parole d’un personnage aussi complexe que fascinant, Un sur mille célèbre le triomphe d’une pensée libre.

Un sur mille
Première aux Rendez-vous du cinéma québécois, le 18 février
À Ex-Centris, du 24 février au 9 mars