Monts et merveilles
Les élites sont mortes, vive les célébrités! Alain Minc, économiste français, éminence grise de la politique et des affaires, annonce dans son Crépuscule des petits dieux l’aurore d’une nouvelle classe dirigeante mondiale. Prenant comme preuve les plus spectaculaires coups de théâtre de la politique européenne de ces dernières années – Le Pen au second tour des présidentielles en France et les récents rejets du traité de l’Union européenne -, il identifie les signes d’une mutation profonde et inquiétante de la société civile: la montée de la haine des élites traditionnelles et le renouveau du populisme. Partout en Occident, la classe politique, soupçonnée de corruption, d’impuissance et de cynisme, n’a plus la cote. Face à elle se dresse maintenant une nouvelle élite produite par les "médias-monde" dans un contexte d’"hyper-démocratie sondagière", une élite éphémère constituée de politiciens-vedettes, d’experts, de porte-parole et autres gourous plébiscités au gré des variations de l’opinion publique et des lubies du citoyen-consommateur "qui zappe sur l’échiquier public comme avec ses chaînes de télévision".
"Plus la démocratie se sophistique, plus elle alimente le réflexe antiélitiste: moins elle est représentative, moins elle est légitime", note Alain Minc. Selon lui, l’incroyable puissance des journalistes, des juges et des lobbyistes condamne les politiciens à la démagogie. Pour gouverner dans un tel contexte, il faut plaire. Pour plaire, il faut faire simple. Résultat: on n’entretient plus que des mythes sur la place publique. Le réel est passé de mode.
Adepte des théories de Minc, André Pratte déboulonne, chez nous, dans Au pays des merveilles, bon nombre des mythes échafaudés, selon lui, par nos élites souverainistes à la conquête de l’opinion publique. Tout y passe, de la notion du Québec martyrisé au divorce de velours, en passant par le déséquilibre fiscal. Là encore, les politiciens ne guident plus les débats. Il y a plus bavard qu’eux: les Pierre Falardeau en tout genre qui polarisent les débats en tenant des discours d’un manichéisme souvent puéril. En guise d’avertissement, Pratte cite Tocqueville pour qui "une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie mais complexe".
Dans son épilogue, Pratte doute que les politiciens puissent un jour servir aux Québécois un discours plus nuancé. Lorsqu’il fit remarquer à André Boisclair, durant la course à la direction du PQ, que le Québec était l’un des territoires les plus prospères au monde, celui-ci lui répondit par un slogan marketing qui promet monts et merveilles: "Nous ferons encore mieux quand nous serons souverains!" Les joutes Harper-Boisclair auxquelles nous pourrions un jour assister auront-elles plus de substance?
Le Crépuscule des petits dieux
Alain Minc
Éd. Grasset, 135 p.
Au pays des merveilles, essai sur les mythes politiques québécois
André Pratte
Vlb éditeur, 153 p.