Emballer le consommateur
Société

Emballer le consommateur

Depuis peu, l’univers du prêt-à-manger (take-out) vit de profondes mutations. Produits santé, authenticité, image raffinée, la restauration rapide offre maintenant beaucoup plus que du junk. Voir s’est intéressé à cette tendance mondiale qui touche enfin Québec.

Le Québec connaît depuis quelques années un véritable engouement pour la question culinaire. Les livres de recettes trônent au sommet des palmarès des ventes, les émissions de télévision culinaires pullulent (les épiceries se retrouvent même fréquemment en rupture de stock d’ingrédients recommandés la veille par les Pinards et Di Stasios de ce monde) et les restaurants offrent des menus de plus en plus recherchés. Dans le sillage de cette vague d’aficionados de la bonne bouffe, on a vu l’apparition du phénomène de l’image: les restaurants ont investi des fortunes dans la décoration, l’ambiance et la musique – certains d’entre eux allant même jusqu’à proposer des compilations présentant la musique entendue lors des repas. On a aussi vu l’apparition d’emballages stylés pour les ingrédients de luxe, ainsi qu’une quincaillerie tendance que l’on retrouve dans toute bonne cuisine. Force est d’admettre que nourriture et image sont devenues indissociables.

Longtemps grands négligés du monde de la restauration, les take-out sont à leur tour en train de faire leur grand coming out! Diversification des produits et qualité de la nourriture, le temps du poulet dans le carton et de la pizza graisseuse est bel et bien révolu. Grâce aux efforts de traiteurs et de restaurateurs passionnés, il est désormais possible d’emporter avec soi une expérience culinaire. À l’exemple du reste de l’univers de la bonne bouffe, les take-out de luxe ont fini par se tourner, eux aussi, vers le packaging (art de l’emballage), pour refaire leur image et séduire une clientèle exigeante.

UNE PERSONNALITÉ PROPRE

Pour Anne Hudon, directrice générale à Identica-Québec (une division du groupe Cossette chargée de l’image de marque), le phénomène du packaging s’inscrit dans la suite logique du marché de la publicité. "On assiste présentement à une fragmentation des préférences des consommateurs, précise-t-elle. On se rend compte que l’époque de la publicité de masse pour atteindre les consommateurs tire à sa fin. Les consommateurs sont de plus en plus spécialisés. Pour suivre, la publicité doit s’ajuster. On favorise maintenant des actions ciblées qui ont un impact énorme auprès d’un public déterminé. Le packaging permet de donner une personnalité au produit de consommation. Il y a généralement plusieurs joueurs équivalents dans un marché. C’est bien souvent la personnalité que le commerçant donne à son produit qui permet de le distinguer de ses concurrents."

C’est cette volonté de se démarquer qui a poussé de nombreux restaurateurs et traiteurs à développer une image adaptée à leur produit. Christian Genet, propriétaire de la chaîne Sushi Taxi, s’est engagé de plain-pied dans cette tendance. "C’est en voyageant à New York et au Japon que j’ai compris l’importance de l’image dans l’univers du take-out. Ils ont des décennies d’avance sur nous. On a trop longtemps négligé cet aspect de la restauration. Combien de commerces vendent leurs sushis dans des barquettes recouvertes d’une pellicule de plastique? Chez Sushi Taxi, on a cherché à se démarquer en offrant un produit différent. On voulait que le take-out devienne un événement, au même titre qu’une sortie au restaurant. Notre meilleure façon d’y parvenir était d’avoir un emballage à la fois beau et tendance."

IMAGE ET QUALITÉ

Naturellement, comme toute entreprise de séduction publicitaire, un emballage soigné permet aux restaurateurs d’augmenter les prix de leurs produits. On en vient parfois même à se demander si on ne finit pas par payer pour l’emballage plutôt que pour ce qu’il contient. À ce sujet, Anne Hudon se fait rassurante. "Les consommateurs ne sont pas dupes. Ils sont prêts à payer un peu plus cher pour une image, mais pas au détriment de la qualité. Le souci pour le packaging arrive généralement lorsqu’un produit a déjà fait ses preuves. Le cas de figure classique est la compagnie qui a un produit qui est vendu depuis quelque temps en connaissant un certain succès. La qualité est déjà au rendez-vous. Notre rôle est de travailler sur la personnalité du produit pour qu’il puisse rejoindre plus aisément son public cible."

C’est exactement ce qui est arrivé avec le service de traiteur et de mets pour emporter Deux gourmandes et un fourneau. Après sept ans passés à développer un produit résolument tourné vers la qualité et la fraîcheur des ingrédients, Marie-Josée Rousseau et Monia Cortina ont ouvert une boutique spécialisée dans la vente de plats prêts à manger. "Notre première préoccupation est la qualité de la nourriture que l’on sert. Mais c’est également dans notre philosophie de travailler sur l’aspect visuel des choses. Ça va du stylisme culinaire jusqu’à notre branding. On a développé une étiquette [NDR: à la fois sobre et invitante] qui nous permet de différencier nos produits de la concurrence. On se rend compte que beaucoup de nos clients aiment cuisiner. On échange sur la bouffe et on discute de recettes avec eux. L’image que l’on véhicule est un complément à nos produits, une touche qui qualifie notre approche de la cuisine. Mais l’essentiel demeure la qualité de nos plats."

RACONTER UNE HISTOIRE

Il arrive aussi que l’image se développe en même temps que le produit. Fort de son expérience avec les Sushi Taxi, Christian Genet peaufine présentement son prochain bébé, nommé Daruma. "Dans ce projet, on veut pousser encore plus loin l’idée d’événement culinaire. Quand les gens sortent, ils veulent bien souvent vivre des émotions, rencontrer l’inattendu. Je pense que le take-out doit prendre ces désirs en considération. Bien sûr, il faut offrir une nourriture de qualité dans un emballage attrayant, mais il faut trouver plus. On a décidé de s’inspirer d’une légende japonaise pour développer le concept derrière Daruma. Je pense que la restauration est rendue là… À non seulement proposer une image, mais en plus à raconter une histoire par nos produits."