Eux et nous…
L’irruption de l’islamisme radical et ses conséquences dans le monde font l’objet de deux essais qui ont le mérite d’identifier le mal qui ronge les relations islamo-chrétiennes.
Nous sommes à l’aube de la Quatrième Guerre mondiale. C’est ce qu’affirme, à l’instar de certains idéologues américains, Thierry Wolton dans son plus récent essai. Après la Grande Guerre, celle de 39-45, puis la guerre froide, le monde se retrouve une fois de plus aux prises avec un conflit transnational.
On connaît tous les méchants de l’histoire: Al-Qaida, "la base" en arabe, ONG terroriste "qui ne dépend d’aucun État et sur laquelle personne n’a de pouvoir" et qui en veut, entre autres, à l’ONU, aux gouvernements des pays musulmans alliés à l’Occident, aux multinationales, aux systèmes internationaux de communication et d’échange de données, aux agences de presse, aux télévisions par satellite, aux organisations humanitaires internationales, etc., etc.
Nous savons moins que cette guerre a déjà fait 2 millions de morts dans les pays musulmans, principales cibles du terrorisme islamiste, qui viennent s’ajouter aux quelque 4000 victimes occidentales dont l’importance symbolique, aux yeux de certains, dépasse le poids des simples chiffres.
La particularité de ce conflit? L’adversaire n’a "ni territoire ni base arrière, […] fonctionne sans centre de commandement, et est décentralisé". Cette guerre ne ressemble donc pas à celles qui l’ont précédée, hormis qu’elle met en scène les forces vives de notre siècle, ce qui lui donne un air de guerre de civilisations. Pour la première fois, l’Occident ne fait pas la guerre à une nation mais à un moyen de résistance (ou d’oppression, c’est selon), à un ennemi sans visage qui, paradoxalement, jouit à nos yeux d’une identité forte, sorte de creuset où se fondent peurs et suspicions réciproques.
Wolton ne croit pourtant pas à la thèse, souvent citée, du choc des civilisations. L’Islam est trop divisé (entre sunnites et chiites), trop complexe dans son ensemble pour permettre des alliances qui mèneraient à un affrontement entre blocs. L’auteur nous invite par contre à prendre au sérieux les divers scénarios catastrophe qui fleurissent à la lumière des attentats de New York, Madrid et Londres. Un choc, donc. Violent, certes. Mais pas nécessairement de civilisations.
Dans un essai intitulé La Civilisation islamo-chrétienne, l’historien américain Richard Bulliet reprend le flambeau de Wolton là où celui-ci capitule. Le spécialiste de l’Islam médiéval tente ici de démontrer que la lutte entre l’Islam et l’Occident "n’est pas due à des différences de fond, mais à la volonté tenace et délibérée de nier leur parenté". Les deux religions "jumelles" ont, en fait, eu des trajectoires parallèles avec, comme point de départ, des bases sociales et religieuses remarquablement similaires. Bulliet rappelle à ceux qui l’auraient oublié que l’Islam tel que l’a connu le monde arabe le long de son histoire a aussi été une force civilisatrice et progressiste. Il faut donc prendre Ben Laden et ses sbires pour ce qu’ils sont: des marginaux. Bien sûr, l’Islam est en crise, admet Bulliet. Mais il s’agit au fond d’une crise d’"autorité religieuse" qui n’aurait peut-être pas eu lieu sans la répression des docteurs de la foi par les rois, oligarques et autocrates des États musulmans soutenus par l’Occident. Enfin, même si "un nombre considérable de musulmans sont aujourd’hui d’accord avec l’analyse géostratégique d’Oussama Ben Laden", le programme du renégat saoudien "séduit infiniment moins", puisqu’il n’a "rien d’autre à offrir que la mort". La solution au conflit, selon Richard W. Bulliet, passe nécessairement par la société civile musulmane. Il faut cesser de donner de l’eau au moulin des extrémistes en écrasant les alternatives non violentes qui se présentent. Il faut surtout ne pas perdre l’espoir qu’un jour, c’est certain, les musulmans aussi auront leur Martin Luther King, leur Gandhi, leur Nelson Mandela qui fera le pont entre foi et droit.
La Civilisation islamo-chrétienne
de Richard W. Bulliet
Flammarion, 240 p.
La 4e Guerre mondiale
de Thierry Wolton
Plon Document, 276 p.