Voir venir le bide
Grâce à l’intelligence artificielle, les majors d’Hollywood pourront lire l’avenir. Un chercheur américain a créé un programme informatique capable de prédire le succès ou l’échec d’un film, bien avant sa création…
En matière de cinéma, les Américains sont les rois du succès prévisible. Nul besoin d’une boule de cristal pour prévoir que Mission: Impossible III, qui prendra l’affiche en mai prochain, fera résonner les tiroirs-caisses. Une série à succès, une promo agressive, une grosse vedette (Tom Cruise), des bagarres et des effets pyrotechniques. Tout y est.
D’autres métrages, en revanche, sont plus risqués. Prenons Brokeback Mountain. Deux cow-boys fringants qui se content fleurette en cachette. Les paysages avaient beau être jolis, le succès n’était pas gagné d’avance.
Or, nos gais bergers ont triomphé. Mais pour un Brokeback Mountain qui réussit, combien d’autres films "à risque" ont fait patate? Dans cette industrie hautement imprévisible qu’est le cinéma, comment un producteur peut-il garantir le succès (financier) de son film? Question critique. À Hollywood inc., lorsqu’on investit des millions dans une mégaproduction, on souhaite d’abord un retour sur l’investissement. Et le pif est loin d’être une science exacte.
Le professeur en systèmes informatiques Ramesh Sharda, de l’Université de l’Oklahoma, pense avoir la solution. Son équipe et lui ont mis au point un programme informatique qui pourrait prédire avec précision la performance d’un film au box-office. Et pour y arriver, il ne suffirait que de quelques données connues avant la production du film, comme sa date de sortie, le nombre de salles où il sera présenté, la présence d’une super-vedette, le genre, etc. En tout, sept paramètres sont requis.
Grâce à ces informations, le programme du professeur Sharda classifie un projet de film sur une échelle de 1 à 9. "1" étant un flop (revenus en deçà d’un million $), et "9" étant un blockbuster (revenus supérieurs à 200 millions $). Bien sûr, nous parlons de films américains.
Ce programme prédirait le succès d’un film de façon acceptable trois fois sur quatre! On comprend mieux pourquoi de grands studios se sont montrés intéressés aux recherches du professeur Sharda. "Nous avons déterminé que notre modèle était capable de classer les films à une catégorie près de la réalité 75 % du temps, explique Ramesh Sharda, joint au téléphone. Et à l’intérieur de ces 75 %, nous avons misé juste 37 % du temps."
Magie? Non, mathématiques. L’expérience du professeur Sharda tire profit des réseaux neuronaux, une forme d’intelligence artificielle qui tente d’imiter le fonctionnement du cerveau humain. "Un réseau neuronal, comme un cerveau humain, apprend des choses en se basant sur des modèles (ou des expériences) déjà acquis", explique le professeur Sharda. Puisque l’on sait qu’une même série de décisions risquent de mener à un même résultat, il ne reste plus qu’à laisser jouer les règles de la logique.
Cinq années de recherche ont été nécessaires au professeur Sharda et à son équipe pour arriver à un programme fiable. Ils ont d’abord dû créer une base de données rassemblant de l’information provenant de 834 films sortis entre 1998 et 2002. Aujourd’hui, cette base de données en connaît un rayon sur l’industrie du cinéma. Et elle sait quels critères différencient un bide d’un boum. Suffit de le lui demander…
"Avec cet outil, explique Ramesh Sharda, un producteur pourrait entrer des informations à propos d’un projet de film et prédire dans quelle catégorie il se situerait. Avec ce résultat, il pourrait rajuster le tir, en changeant la classification "13 ans et plus" pour "Général", par exemple, et voir quelle différence cela aurait sur la performance au box-office."
Bien qu’impressionnant, ce programme n’est tout de même pas à l’abri des erreurs. "Pour le film My Big Fat Greek Wedding, dit le professeur Sharda, notre modèle avait prédit qu’il encaisserait 100 millions $ (catégorie 7), alors qu’il a fait plus de 200 millions $ (catégorie 9)." 369 millions $ dans le monde, pour être plus exact. Un léger écart…
Évidemment, le système du professeur Sharda et sa logique financière ne font aucune différence entre un "bon" et un "mauvais" film. Artistiquement parlant. Malgré les promesses de l’intelligence artificielle, on peut donc s’attendre à ce qu’Hollywood nous serve encore longtemps plusieurs "merdes lucratives" et trop peu de chefs-d’oeuvre dont la qualité s’apprécie autrement qu’en termes comptables…