Édouard Castonguay est inconfortablement assis sur un divan dans l’antichambre de la mort. Savez, la grande faucheuse n’est pas aussi chic que peuvent le laisser croire les salons funéraires, lieux qui témoignent de nos derniers instants dans un luxe et un kitsch atrocement ostentatoires.
En réalité, pour ceux qui la précèdent d’un cancer interminable, la mort se procure ses sofas chez Ikea, dans la section el cheapo. La maladie est donc comme ces divans bas de gamme: t’as beau te placer de toutes les manières, essayer toutes les positions, t’es mal.
Dans l’antichambre de la mort, donc, une star du country souffre en attendant que vienne sa dernière heure. Mais comment peut-il s’agir d’une star, vous demandez-vous, puisque ce Castonguay, vous n’en avez jamais entendu parler? Demandez aux milliers de personnes qui ont acheté ses disques, ses billets de concert, et ce depuis son premier contrat d’enregistrement chez RCA en 1956, jusqu’à son dernier show, il y a quelques mois.
Comme plusieurs vedettes du genre qui ont été écartées du showbiz par la disparition du country des programmes courants à la télé et à la radio, Édouard Castonguay a poursuivi sa carrière dans le seul véritable underground, celui des régions non urbaines. Bas-du-Fleuve, Gaspésie, Abitibi, Côte-Nord… Et partout, des salles combles pour le recevoir, comme si vous y aviez invité Johnny Cash en personne.
Des fois, raconte son fils Martin, il me disait: je m’en vais jouer à telle ou telle place, c’était à l’autre bout du monde. Je lui demandais: t’es sûr que ça va marcher? Chaque fois, il me répondait un truc du genre: ben oui, ils me connaissent, j’ai joué là avec Paul Brunelle en 1975. Et chaque fois, il remplissait la salle. À son show d’adieu, il y avait des centaines de personnes dehors qui ne pouvaient pas entrer, il y avait du monde qui scalpait des tickets à la porte. Je croyais pas à ça…
Une star, donc. Une étoile qui s’apprête à s’éteindre comme dans un mauvais western, en s’éloignant toute seule vers la ligne d’horizon. Toute seule, dis-je? C’est faux. Son fils Martin, qui partage la scène avec lui depuis l’âge de trois ans, mais qui est mieux connu pour son personnage de bouffon radiophonique, fait la promotion du dernier album de son père avec toute l’énergie que confère le désespoir. Son frère David et lui jouent sur ce dernier disque (de la guitare, les deux, et aussi du piano pour Martin), leurs blondes font de la promo, et leur mère, Anita, qui l’accompagne depuis belle lurette, veille sur lui.
Plusieurs choses me touchent dans cette histoire, mais particulièrement la rusticité du bonhomme que je n’ai pu rencontrer, trop mal en point pour donner des entrevues. Je me fie donc à la candeur de sa musique, et des quelques phrases qu’il livre, avec parcimonie, dans le livret de son dernier album, intitulé 1956. L’année de ses débuts pour le disque de sa fin.
Dans ce livret, un mot pour sa famille, et un autre pour sa fidèle guitare, une Martin D-18. Et hop, merci la vie.
C’est l’essence de la musique country dans toute sa simplicité. Une espèce de pureté qui t’amène directement aux émotions, sans le filtre de l’intellect. Cela indispose ceux qui préfèrent le sirupeux ou le cérébral, et cherchent à fabriquer du sens ou un show avec des sentiments, alors que dans le country, tout est ramené à sa plus simple expression. Le bonheur, c’est le bonheur. Le malheur, c’est le malheur. Des fois, tu te fais péter la gueule par l’existence, tu prends une rasade de whisky, pis tu te relèves. Avec un peu d’aide de Dieu, pour ceux qui y croient, comme c’est le cas d’Édouard Castonguay.
Et si vous trouvez que cela manque cruellement de poésie, faudrait peut-être qu’on vous explique deux ou trois choses sur la vie.
ooo
Tiens, encore la mort. Celle, annoncée, d’à peu près tous les festivals et événements culturels – ou même sportifs – de Québec si cela continue de la sorte.
Après les Francos qui viennent jouer dans les plates-bandes du Festival d’été, le Marathon international de Montréal dans celles du Marathon des deux rives (un événement magnifique, hyper bien organisé, auquel j’ai participé il y a deux ans), voici que le Festival de théâtre des Amériques (FTA) annonce que l’entente plus ou moins tacite qui permettait au Carrefour international de théâtre de Québec d’être une biennale, en alternance avec cet événement-frère, ne tient tout simplement plus. Désormais, le FTA aura lieu chaque année, fuck la non-concurrence, et tant pis pour Québec.
En plus, on murmure qu’au royaume des festivals du film de guerre – ou est-ce la guerre des festivals du film? -, on voudrait créer un festival panaméricain… comme il s’en fait un ici, celui des 3 Amériques.
Vous croyez à de la malveillance de la part de ces institutions montréalaises? Parlons plutôt d’inconscience.
Comme le disait Dominique Violette, la directrice générale du Carrefour, en conférence de presse mardi matin: "Il ne s’agit pas d’une guerre entre Québec et Montréal1."
Elle n’aurait pas pu mieux dire. Pour avoir une guerre, ça prend au moins deux belligérants. Et pour cela, encore faudrait-il qu’à Montréal, on se souvienne que Québec existe autrement que sous forme de carte postale.
1. Cette citation m’a été rapportée par ma collègue Marie Laliberté, qui assistait à la conférence de presse pendant que je tapais la première partie de ce texte. Merci Marie.