Pas toujours le vrai
Dans son dernier livre, le journaliste d’enquête William Reymond revisite la légende de Coca-Cola. Non, ce n’est pas toujours "O.K." quand c’est Coke.
Dans le monde, "Coca-Cola" est le deuxième mot le plus connu après "O.K.". 94 % de la population mondiale reconnaît la marque. C’est la boisson la plus bue après l’eau, elle se retrouve dans plus de pays qu’il y a de membres à l’ONU. Et pourtant…
Un liquide brun au goût sucré. C’est à peu près tout ce qu’il resterait au Coca-Cola si on lui confisquait sa légende. Car lorsqu’on boit un Coke, on boit d’abord un symbole, un univers. Le rêve américain ou quelque chose du genre. Cultivée au coût de quatre milliards de dollars par année, la mythique signature rouge et blanc est l’unique valeur ajoutée à un produit qui, au départ, n’a rien de bien extraordinaire. On comprend donc pourquoi Coca-Cola n’aime pas qu’on touche à sa légende. Surtout lorsque c’est pour en relever les épisodes les plus honteux.
Rencontré dans le lobby de l’Hôtel Gault, dans le Vieux-Montréal, William Reymond n’est pas du genre avare de paroles. Une heure en sa compagnie et on en apprend davantage sur Coca-Cola qu’en une vie à subir le matraquage publicitaire de la multinationale d’Atlanta. Dans son plus récent ouvrage, Coca-Cola, l’enquête interdite, ce journaliste français basé à Dallas (Texas) révèle de nombreux détails effacés de l’histoire officielle de Coca-Cola.
Car au coeur de la légende du célèbre cola, il y a ce culte du secret. Ce qui n’est pas susceptible d’entretenir le mythe bucolique entourant Coca-Cola doit être tu. Jusqu’à l’oubli. Heureusement, tout le monde n’est pas dupe. La recette secrète du Coke est aujourd’hui connue. On sait aussi que la boisson brune contenait de la cocaïne au moment de son invention, en 1886. Et le père du Coke, John S. Pemberton, était loin d’être un visionnaire. Sa boisson était en fait une imitation d’un vin pétillant français non alcoolisé, le vin Mariani.
D’UN MENSONGE À L’AUTRE
William Reymond, qui a déjà enquêté sur l’assassinat de John F. Kennedy et la famille Bush, s’intéresse à Coca-Cola depuis son adolescence. Jeune, il possédait déjà une collection d’objets à l’effigie de la marque. Comme pour plusieurs, la légende de Coca-Cola a bercé ses rêves d’Amérique. Or, s’il n’est pas devenu un triste maniaque enseveli sous les babioles promotionnelles, c’est surtout grâce à son père. "Il m’a dit qu’une collection n’avait aucun intérêt si elle n’avait pas un thème précis", raconte l’auteur. C’est sur ce conseil qu’il s’est concentré sur l’histoire de Coca-Cola en France.
À force d’accumuler de l’information et des documents sur le sujet, William Reymond s’est un jour retrouvé en possession d’objets appartenant à Coca-Cola France, datant de 1940 et de 1941. Un fait étonnant, puisque selon la légende, la marque aurait quitté l’Europe en 1939 pour revenir seulement après la Deuxième Guerre mondiale. "Je me suis dit que s’il y avait au moins une chose de fausse dans l’histoire racontée par Coca-Cola, il y avait peut-être d’autres mensonges", raconte l’auteur. En effet.
LA BOISSON FAVORITE DES NAZIS
Coca-Cola n’est jamais disparue du Vieux Continent lors de la Deuxième Guerre mondiale. Pire, pendant que Hitler mettait l’Europe à feu et à sang, Coca-Cola lançait une nouvelle boisson, Fanta, en Allemagne. En somme, Coca-Cola jouait sur deux fronts. Pendant que la marque se présentait comme la boisson des Alliés, elle cherchait aussi à étancher la soif de l’Allemagne nazie…
Cette histoire n’est pas un scoop en soi. On en connaissait déjà les grandes lignes. D’ailleurs, Coca-Cola s’en est toujours lavé les mains en signifiant qu’il ne s’agissait que d’une malheureuse initiative personnelle émanant du patron de Coca-Cola Allemagne. Un mensonge, selon William Reymond. Car selon les découvertes de l’auteur, la recette du fameux Fanta allemand aurait été concoctée au siège social de Coca-Cola à Atlanta. Puis, elle aurait été envoyée au pays de Hitler afin d’être commercialisée. Tout sauf une initiative personnelle, finalement.
Coca-Cola aurait donc été parfaitement consciente de la stratégie que tramait le patron de la société en Allemagne. Elle en aurait même été partie prenante. "Cela démontre une chose, dit William Reymond. Lors d’une des pires périodes de l’histoire de l’humanité, la seule priorité de Coca-Cola a été Coca-Cola: vendre plus de bouteilles et conserver ses parts de marché."
Dans cette enquête, la charge contre Coca-Cola est grave. La multinationale a-t-elle menacé William Reymond de poursuites judiciaires? "Ils sont beaucoup plus intelligents que ça, dit ce dernier. Ils ne peuvent pas dire n’importe quoi ou réfuter les informations que j’avance, car cela me donnerait l’occasion de leur répondre publiquement. Ce qu’ils ont préféré dire, c’est que mon livre faisait partie des "romans historiques" qu’ils ne commenteraient pas… Comme s’il s’agissait pour eux d’une histoire fictive sans intérêt!"
LE DEVOIR DE MÉMOIRE
À quoi bon ressortir ces vieilles histoires du passé? Peut-être à prouver que la manipulation de la vérité pour des fins marketing est un phénomène dangereux. "Mon livre, comme d’autres, est utile, dit William Reymond. Car il démontre qu’on nous vend continuellement une espèce de monde parallèle qui est faux. Coca-Cola a un devoir de mémoire qu’elle refuse d’accepter. C’est un malaise."
Au-delà du devoir de mémoire, ce livre nous force à nous interroger sur la responsabilité sociale des entreprises. N’existent-elles que pour le profit? Une entreprise est-elle tenue de défendre des valeurs morales, comme la démocratie ou les droits de la personne? Coca-Cola aurait-elle dû refuser de collaborer avec l’Allemagne nazie? Ces questions n’ont pas vieilli d’une seconde. Le moteur de recherche Google n’a-t-il pas accepté, récemment, de se censurer pour pouvoir accéder au marché chinois? Selon William Reymond: "Si chaque citoyen a des obligations éthiques, les entreprises en ont aussi."
Coca-Cola, l’enquête interdite
de William Reymond
Flammarion, 430 pages