Pronétaires de tous les pays…
Dans son dernier essai, le chercheur français Joël de Rosnay annonce une nouvelle lutte des classes: l’affrontement entre "infocapitalistes" et "pronétaires" sur le réseau des réseaux.
Alors que l’on croyait que le marxisme était mort, voilà que l’on nous parle de lutte des classes. Joël de Rosnay met le doigt sur ce qui semble déjà être une évidence: nous vivons, grâce au Web, une révolution profonde qui entraînera nécessairement certaines mutations importantes de notre société.
Ce serait, en effet, une erreur de ne voir dans Internet qu’un outil de plus, qu’une extension des modes traditionnels de communication. Sa formidable explosion annonce plutôt un renversement majeur dans les mondes des communications et de la transmission du savoir: l’érosion du mode pyramidal de contrôle de l’information.
L’ère des "mass media" qui privilégie le "un vers tous" cède sa place aux "médias des masses" adeptes du "tous vers tous". Se crée alors un réseau qui utilise des techniques d’échange collaboratives et communautaristes: les Myspace, Flicker, Yahoo 360, résidences virtuelles des bloggeurs, vloggeurs et podcasteurs de ce monde.
L’avènement de cette nouvelle donne ne se fait pas sans heurt. Loin s’en faut! Selon Rosnay, deux camps se partagent le ring. Dans un coin: les "infocapitalistes, […] détenteurs des moyens de création, de production et de diffusion de contenus informationnels dits propriétaires". Ce sont les médias, les multinationales de la culture, de l’information et des communications. Dans l’autre coin: les "pronétaires, […] nouvelle classe d’usagers des réseaux numériques capables de produire, diffuser, vendre des contenus numériques non propriétaires". C’est-à-dire vous!
Une étude très sérieuse a ainsi démontré que l’encyclopédie collaborative virtuelle Wikipédia est presque aussi fiable que la vénérable Encyclopædia Britannica et, surtout, plus complète! Nous voyons aussi l’apparition de nouveaux journaux Internet dont l’apport éditorial repose presque exclusivement sur les contributions volontaires de journalistes citoyens. Pour l’auteur, cette nouvelle forme de communication peer-to-peer pourrait être la base sur laquelle se construirait une "nouvelle démocratie" qui serait le fruit d’une "intelligence collective", conséquence du rapprochement virtuel de millions d’internautes.
Mais l’existence de cette lutte des classes est sujette à débat. L’adolescent qui pille sur Kazaa est-il vraiment un "pronétaire" en lutte? Des capitalistes ne se cacheraient-ils pas derrière ces nouveaux médias des masses? Rosnay ne souligne guère les polémiques entourant le comportement de Google, qui se plie aux exigences dictatoriales de la Chine communiste en limitant l’accès à l’information des internautes chinois. Difficile de dire qui est le bon et qui est le méchant dans cette lutte entre artistes et pirates, journalistes et bloggeurs, infocapitalistes et génies du Web. Faut-il vraiment choisir son camp?
Joël de Rosnay
La Révolte du pronétariat
246 pages, Fayard