Requiem pour un concept
Société

Requiem pour un concept

Dans son nouvel essai, La Mort de la globalisation, John Saul annonce la fin du règne du libéralisme économique mondial.

Le concept de la globalisation est souvent galvaudé. On ne sait plus vraiment de quoi il s’agit.

"Une définition très précise de la globalisation a été mise en place par les économistes. Mais il y a eu un glissement. Aujourd’hui, on a tendance à confondre globalisation et internationalisme. Dans un tel contexte, il est difficile d’avoir une conversation sérieuse sur ce sujet. Dans mon livre, je parle de la globalisation telle qu’elle a été définie par les technocrates et les économistes."

La globalisation telle qu’on la connaît n’est pas historiquement le premier système économique international, ni le plus efficace?

"Les empires coloniaux contrôlaient le monde de manière étonnante. L’empire romain était un système extrêmement bien rodé et complexe. Toutes les idéologies se présentent comme une nouvelle donnée. C’est le cas pour la globalisation. Il y a quelques années, certains "académiques" proclamaient que l’État-nation allait disparaître ou perdre beaucoup de son pouvoir, alors que l’État-nation est plus fort aujourd’hui qu’il y a 50 ans."

Selon vous, les technocrates ont trop de pouvoir depuis la création du G8 et de l’OMC, pourquoi?

"Les membres du G8 ont donné beaucoup trop de place aux économistes qui ne voient la civilisation qu’à travers un prisme théorique. Malheureusement, les économistes sont très mal éduqués de nos jours. Ce sont des spécialistes dans leur domaine, certes, mais il faut connaître l’Histoire pour mettre en place des programmes publics qui fonctionnent bien à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, nous avons un leadership qui manque de cran et de culture. Les fonctionnaires adorent les arguments de l’inévitabilité pour s’opposer au changement."

On voit en Occident une perte de confiance par rapport aux élites qui est terrible!

"C’est quelque chose qui peut nous mener à un renouveau du populisme. Quand les gens n’ont plus confiance en la capacité de leurs élites d’être honnêtes et d’agir de manière compréhensible pour le peuple, ils se replient sur eux-mêmes. Il y a cinq ans, je n’aurais pas pu imaginer que le racisme soit un jour officiellement de retour. Pourtant, c’est le cas. En Italie, Berlusconi vient de signer un accord avec la petite-fille de Mussolini; une semaine plus tard, il parlait au Sénat américain comme si de rien n’était. C’est ahurissant! Partout dans le monde, vous trouvez des discours nationalistes, passéistes. Qui aurait cru que les États-Unis passeraient à une période nationaliste de type 19e siècle? En 50 ans, le conservatisme n’a jamais été aussi fort qu’aujourd’hui."

Vous considérez pourtant qu’il existe une forme de nationalisme positif.

"Nous vivons et travaillons tous quelque part. L’un des grands défauts de l’argument globaliste était que tout ça ne comptait plus, que les décisions importantes ne se prenaient plus au niveau national. On s’est mis à croire à une vision verticale du monde. C’était un argument utopique, idéaliste. Même l’idée que les compagnies transnationales n’ont pas de culture nationale est sans fondement. Microsoft et les autres compagnies du même genre ont toutes des origines qui ont conditionné leur culture d’entreprise."

Les multinationales sont-elles vraiment nécessaires à la croissance?

"Adam Smith, l’un des pères du capitalisme, aurait été en profond désaccord avec les arguments qui dominent la pensée économique moderne. Pour lui, le capitalisme était indissociable de l’empathie et du bien commun. Les grands accords internationaux comme l’OMC ont évacué cette notion. Dans le système actuel, les compagnies transnationales fonctionnent sur un mode précapitaliste semblable à celui de la Compagnie de la baie d’Hudson ou de la Compagnie des Indes à l’époque des grands empires coloniaux. Il s’agit d’une intégration verticale de la production qui a pour but de limiter la compétition, pour contrôler le produit, et d’éviter la production de richesse au profit de quelques personnes au sommet."

Avons-nous tout de même des raisons d’être optimistes?

"Sans doute! Un certain nombre de traités internationaux intéressants ont été signés récemment: la cour internationale sur les crimes de guerre, l’exception culturelle qui libère la culture des impératifs imposés par l’OMC, le protocole de Kyoto, qui laissent espérer que l’économie ne monopolise plus le débat à l’international. C’est encourageant, même si là encore, l’approche technocratique est toujours trop souvent privilégiée."

De nombreuses ONG ont vu le jour au cours des années 90. Forment-elles une sorte de contre-pouvoir face aux institutions internationales?

"L’apparition des ONG est quelque chose de très important. Mais leur prolifération a aussi un côté négatif. Si des millions de jeunes de moins de 40 ans s’enrôlent dans les ONG, c’est parce qu’on les a découragés d’aller en politique. Cela engendre une pauvreté intellectuelle, émotionnelle et éthique terrible dans le monde politique qui manque de sang neuf. Les ONG sont réactionnaires, en quelque sorte. Elles se placent à l’extérieur du système et ne peuvent donc pas le réformer. Seuls les politiques ont ce pouvoir."

Le modèle de la mondialisation est un modèle qui nie les différences d’opinion. Devrions-nous adopter une autre idéologie?

"La solution n’est pas de trouver une autre idéologie pour remplacer celle de la globalisation. On ne change pas une époque comme ça. L’important, c’est de ne pas céder au fatalisme. C’est quand le système commence à faillir que les réformes peuvent être amorcées."

John Saul donnera des conférences le mardi 21 mars à midi à l’amphithéâtre IBM des H.E.C. et le jeudi 23 mars à 19 h à l’Institut d’études internationales de Montréal, salle Marie-Gérin-Lajoie.