La planète Chine
Que se cache-t-il derrière le "miracle" chinois? Deux essais braquent les projecteurs sur l’Empire du milieu.
L’essayiste français Guy Sorman a passé 2005, l’année du Coq, à parcourir la Chine. Il a tiré de sa longue pérégrination dans l’Est un livre coup-de-poing. Son pamphlet attaque sur tous les fronts le système chinois, une tyrannie doublée d’un modèle économique mis au service exclusif d’un "complexe militaro-communiste" qui laisse "l’essentiel de la population en marge du progrès". Guy Sorman invite les Occidentaux à mieux "écouter" les démocrates chinois et à ne plus jouer le jeu d’un Parti communiste qui est "dangereux pour son peuple et pour le monde". Trop souvent, les intérêts diplomatiques et économiques des Occidentaux amis de la Chine se conjuguent avec la propagande des dirigeants communistes pour nous faire croire qu’une démocratie en Chine serait une aberration.
Sorman nous rappelle que le PCC est loin d’être sincèrement engagé dans la démocratisation du pays. Pire encore, il décourage l’innovation et l’inventivité, ce qui risque d’entraver l’essor de la Chine.
"Rendra-t-on hommage au Parti pour la prospérité industrielle retrouvée?" se demande Sorman. "Le Parti a effectivement rendu l’aventure possible en construisant routes, ports, aéroports… La main-d’oeuvre? Le Parti en garantit l’acheminement et la docilité; telle est sa véritable contribution, décisive: pourvoyeur de prolétariat. La stratégie du gouvernement privilégie l’enrichissement rapide par l’exploitation de la main-d’oeuvre; les salaires restent d’autant plus bas que le Parti interdit toute organisation syndicale, mais favorise une sainte alliance du Parti et du patronat national et étranger."
Libéral convaincu, Sorman fait preuve d’un certain pessimisme quant aux possibilités de changements en Chine. Car même si des voix s’élèvent contre le parti unique et sa corruption, "l’addition des révoltes ne fait pas une révolution".
Si, dans son ouvrage, Sorman peint un excellent portrait de l’état de la Chine telle qu’elle était en 2005, il ne nous livre malheureusement pas les secrets du mystère chinois, trop occupé à condamner ce qu’il voit pour essayer de comprendre la mentalité chinoise.
À l’inverse, André Chieng, homme d’affaires franco-chinois, prend une approche moins polémique et plus culturelle dans sa Pratique de la Chine. Celui-ci tente plutôt de répondre à des questions concrètes sur l’esprit chinois.
André Chieng est convaincu que les instruments intellectuels de l’Occident ne permettent pas d’analyser la réalité chinoise. Il fonde son argument sur les travaux du philosophe François Jullien, grand spécialiste de la Chine qui, lui, s’est basé sur les textes philosophiques chinois pour mieux comprendre la pensée occidentale. Chieng, avec Jullien, exécute de passionnants allers-retours d’une culture à l’autre, identifiant dissemblances et points communs.
Entre la Chine et l’Occident, ce ne sont pas deux modèles qui s’opposent mais deux systèmes de pensée: la culture de la vérité (l’Occident) et celle de la transformation (la Chine). En Chine, la méthode est moins importante que le but, identifié à long terme.
C’est ainsi que "les Chinois nous rendent attentifs au temps long, à la durée lente et ne voient dans l’événement que l’affleurement momentané – tel un trait d’écume – d’une mutation beaucoup plus ample et telle que l’on ne saurait la scinder", conclut François Jullien dans sa postface. Faut-il alors continuer de juger les Chinois selon nos propres critères de démocratie et d’efficacité économique, comme le fait Sorman, ou alors leur donner le temps de trouver leur voie, comme nous y invitent Jullien et Chieng? La planète Chine serait-il si différente de la nôtre pour qu’on refuse de la regarder à travers le prisme de nos valeurs démocratiques, pourtant universelles, au nom du relativisme culturel?
L’Année du Coq
Guy Sorman
Éd. Fayard, 317 p.
La Pratique de la Chine
André Chieng
Éd. Grasset, 278 p.