"Même Hitler n’aurait pas contrôlé les fumeurs jusque dans leur bar préféré", écrit Christine St-Pierre en réaction à ma chronique de la semaine dernière, qui portait sur le mensonge de l’air pur.
Désolé de vous contredire, Madame, mais Hitler avait interdit de fumer dans l’Allemagne nazie, dès 1939. Et pourquoi donc? Simplement parce que le Wissenschaftliches Institut zur Erforschung der Tabakgefahren – institut de recherche sur les dangers du tabac – lui avait soumis une étude prouvant la nocivité de l’usage du tabac, et qu’Hitler en avait conclu que sa consommation nuisait à la suprématie de la race aryenne. Ton devoir est d’être en santé, disait-on aux jeunesses hitlériennes.
Évidemment, le reste du monde considérait alors cette mesure comme une entorse aux libertés individuelles, une autre infâme contrainte imposée par un régime fasciste.
Quelques années plus tard, les mêmes conclusions quant à l’usage du tabac, mais émises par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), seront considérées comme parole d’évangile. Il ne sera plus question de fascisme dans cette volonté d’imposer une hygiène publique. Pourtant…
Dans son dernier ouvrage, Le Roi des Juifs, duquel j’ai tiré ce fait historique, Nick Tosches, l’un des plus brillants auteurs de notre époque – et donc, par le fait même, cruellement méconnu -, expose avec brio le degré d’imbécillité – et souvent d’amnésie – dont nous faisons preuve. Aussi, je lui cède la parole afin de poursuivre sur ce dossier qui vous fait littéralement grimper dans les rideaux.
"Il existe un vieux gag d’Abbott et Costello. Bud Abbott claque tout ce qu’il leur restait de pèze pour s’acheter un hamburger, ne laissant à Lou Costello que la photo d’un steak découpée dans un magazine. Tandis que Costello bave sur le hamburger qu’il est en train de se farcir, Abbott lui explique que le spirituel passe avant le matériel, et lui dit de bouffer sa page de magazine. D’un geste hésitant, Costello approche la page de sa bouche. Abbott l’encourage, en se plaignant de n’avoir rien d’autre à manger qu’un vulgaire hamburger alors que Costello dispose d’un steak superbe. Costello mastique la page et l’avale."
"Nous sommes tous devenus des Costello. Nous nous nourrissons d’illusions alors que nous sommes affamés. Nous mangeons et nous excrétons la "liberté", la "compassion" et la "justice" – les mots, pas leur réalité. Plus Abbott dit "steak", moins le steak est réel. Plus des mots tels "liberté", "libération" et "vérité" emplissent l’air tels des remugles douceâtres de déodorants chimiques, plus la liberté et la vérité sont mises en danger ou tout simplement réprimées. (…) Mais à la différence de Lou Costello, nous en sommes venus à trouver notre repas agréable."
Ramenons cela à notre sujet maintenant.
Pendant que le gouvernement du Québec nous saoule d’un développement durable qui n’est rien d’autre qu’une chimère, nous permettons à nos dirigeants de laisser la situation de l’air ambiant – et plus largement, de l’environnement – s’envenimer. Au même moment, nous applaudissons l’imposition d’une loi interdisant de fumer À L’EXTÉRIEUR, et qui promet de l’air pur pour tout le monde. Un air pourtant déjà vicié. Un air qui tue pas mal plus que les quelques volutes éparses d’une clope sur une terrasse.
Mais le 31 mai, le Québec respirera mieux, promet le slogan officiel du gouvernement.
Mensonge qui revient à nous faire inhaler la photo d’un petit nuage rose découpée dans un magazine. Image que nous écrasons sous forme de boulette, et sniffons dans un bonheur béat.
Heureusement pour nos dirigeants, un mensonge répété assez souvent devient une vérité, non?
Mais je m’en voudrais de ne pas conclure le sujet en proposant l’un des rares messages qui me sont parvenus et qui vont au-delà du: ça pue, la cigarette, ça fait tousser, c’est dégueulasse, et autres évidences indiscutables.
Le voici donc, c’est signé Nathalie Langevin, et cela illustre parfaitement l’esprit de l’idée défendue ici.
"J’ai fait une chute. Une bonne. Pendant plusieurs semaines, je n’ai senti que ma cheville gauche transpercée de vis qui me donnaient l’air d’un robot pas fini. Je ne vivais que par elle et par le Démérol que de bienveillantes infirmières avaient l’amabilité de m’injecter sans relâche… Ça va mieux maintenant, sauf que j’ai mal au dos en "&(?"/%?"!! Selon mon médecin, la fracture que j’ai au dos ne me fait pas plus souffrir que durant les premières semaines de ma convalescence. La seule différence, c’est que ma cheville fait moins mal… me donnant ainsi toute liberté de sentir mon dos. Cette loi idiote est tout à fait pareille. En diminuant ainsi la fumée secondaire, peut-être pourrons-nous enfin réaliser que, parmi les 80 personnes qui décéderont, 20 habitent près d’un incinérateur, 20 consomment des aliments qui contiennent un additif cancérigène, 20 font du ski de fond près de lignes haute tension et 20 autres se baignent dans une rivière ou un lac pollués. Quand la cheville qu’est la cigarette ne fera plus souffrir personne, peut-être la société que nous formons sentira-t-elle elle aussi son dos?"