Les obsédés de l'absolu
Société

Les obsédés de l’absolu

Tzvetan Todorov et Patrick Süskind sont partis à la recherche des grands absolus dans la littérature occidentale et signent deux beaux essais sur la nature de l’Essentiel.

Qu’est-ce que l’absolu? Tzvetan Todorov, essayiste et chercheur bulgare, enquête sur la soif d’idéal que l’homme n’a pas fini d’éprouver en suivant trois héros littéraires aux destins passionnés: Oscar Wilde, Rainer Maria Rilke et Marina Tsvetaeva.

Todorov retrace les événements marquants de leurs vies en commentateur admiratif et brillant de la littérature. Il nous raconte la façon dont ils ont tenté de vivre l’absolu, de leurs premières envolées lyriques à leurs fins inévitablement tragiques, "car il existe quelque part une vieille inimitié entre la vie et l’oeuvre", disait Rilke.

Que pouvons-nous retenir des destins tourmentés de ces trois auteurs? Pouvons-nous encore, fils et filles pragmatiques de nos sociétés matérialistes, y trouver quelque enseignement?

La modernité a marqué l’atterrissage de l’absolu entre les mains des hommes, atterrissage déjà entamé par le christianisme qui faisait la distinction entre le monde d’ici-bas et un au-delà situé Dieu sait où. Rilke, Wilde et Tsvetaeva tentent chacun à leur manière de ré-enchanter le réel après "le passage d’un monde structuré par la religion à un autre organisé par référence aux seuls êtres humains et aux seules valeurs terrestres".

La vie de ces trois poètes, obsédés par la Beauté et l’Amour, illustre l’incroyable violence du combat entre l’art et la vie. En effet, le message que nous transmettent les aventuriers de l’absolu est d’autant plus précieux qu’il a été chèrement payé. Ces trois-là ont tenté d’illustrer avec force la beauté du monde et de la vie par les oeuvres comme par leur vécu. Todorov résume bien la richesse essentielle de leur quête: "En des temps troubles et dévorants l’art est nécessaire; Rilke mais aussi Wilde et Tsvetaeva aident chacun à mieux penser et à diriger leur existence."

Süskind se penche sur l’absolu des absolus dans Sur l’amour et la mort, petite plaquette commanditée pour accompagner le scénario du long métrage de son ami Helmut Dietl, Vom Suchen und Finden der Liebe (De la quête et découverte de l’amour). L’auteur du Parfum soulève ici une question qui le titillait depuis longtemps.

"L’homme en tant que créateur, et depuis l’époque d’Orphée l’homme en tant que poète se sont occupés de peu de choses avec autant d’obstination que l’amour", annonce-t-il. Pourquoi alors le thème de l’amour est-il si souvent lié à celui de la mort? L’amour n’est pourtant pas une maladie! Faisant appel à de grosses pointures spécialistes en la matière, dont Goethe, Stendhal et Wagner, il passe en revue quelques scénarios types de l’amour.

Passant du parcours un peu showbiz de Jésus, apôtre de l’amour désincarné, dont il souligne avec beaucoup d’humour les qualités de pro des communications, au mythe d’Orphée, descendu aux Enfers pour retrouver son amour plutôt que de mourir pour elle, il compare les figures littéraires, religieuses et mythologiques à des cas concrets de manifestations de l’amour au quotidien. C’est là que le mythe perd un peu de son lustre. On conclut, à la lecture de cet essai qui se termine en queue de poisson, que l’absolu, quand on le confronte au réel, est souvent proche du ridicule. C’est vrai, il vit mal hors des livres. Difficile de croire alors que la beauté pourra un jour sauver le monde!

Les Aventuriers de l’absolu
Tzvetan Todorov
Robert Laffont, 277 p.

Sur l’amour et la mort
Patrick Süskind
Fayard, 96 p.