Société

Ennemi public #1 : Les hystériques

Je n’ai pas vu le docteur Chicoine s’énerver à Tout le monde en parle. Je lisais. John Fante, Demande à la poussière. On en a fait un film, et je voulais me retaper ce bouquin génial pour être mieux déçu par son adaptation cinématographique. Du pur masochisme, quoi.

J’avais déjà vu le doc dans une autre émission où il faisait les mêmes hystériques simagrées, anyway. Et le lendemain, j’ai pu lire des extraits de son bouquin que cosigne Nathalie Collard. Des extraits, dis-je… C’était imprimé gros comme ça dans La Presse de lundi, même si, en réalité, ce n’était pas écrit tel quel: Desjardins, comme père, t’es vraiment à chier.

Fuck… Ce con est parvenu à me faire filer cheap pendant au moins 10 minutes. Le temps que cela me prend pour mener ma fille à la garderie. Puis, youpelaï yéyé, dans ma radio d’auto, on parle d’élections en Israël, du journaliste emprisonné en Biélorussie, du bientôt défunt zoo, et l’imbécillité concentrée de la politique aspirant ce qui l’entoure comme un trou noir, j’en oublie que je suis un salaud.

Parenthèse: vous ai-je dit que ma fille "fréquente" la garderie depuis qu’elle a 1 an, soit 12 mois trop tôt pour Le-Grand-Docteur-Chicoine-de-Sainte-Justine, aveuglant phare de nos consciences?

Avec un sens du timing que ne renierait pas la responsable du marketing de Star Académie, ma bestiole furibonde choisit évidemment ce lundi matin pour péter les plombs à la garderie. Pendant des heures.

De retour à la maison, re-crise du bébé – mauvaise journée, faut croire -, ma femme tombe sur le journal, toujours ouvert sur la table, il est encore écrit sans que cela soit vraiment écrit: tu es un mauvais parent, ton mari aussi, si vous vouliez avoir une vie et une carrière, z’aviez qu’à pas faire d’enfant.

Plus portée sur la culpabilité de par son état de mère – puisque les pères, c’est bien connu, vivent mieux avec leur statut de salauds -, elle rumine en silence et beaucoup plus longtemps que moi ce sentiment d’avoir abandonné son enfant et d’en avoir ainsi fait un monstre.

C’est d’ailleurs tout ce qu’aura réussi à faire la crise du docteur Chicoine: culpabiliser les milliers de parents qui envoient leurs enfants à la garderie sans que cela pose problème, les faire passer pour des criminels, montrer du doigt des innocents, faire d’exceptions ramenées au rang de statistiques hautement discutables une autre tare de nos sociétés toujours plus malades de leurs mioches.

Nous négligeons nos enfants au profit de notre boulot? Peut-être. Un an, c’est trop jeune pour les domper à la garderie? Ça se peut. La question se pose. Mais tout est dans la manière.

Avec une sortie aussi assassine que celle du pédiatre, tout ce que l’on récolte, c’est l’indignation, la culpabilité, le ressentiment, la honte, et mettez-en encore.

Bref, tout le contraire de la réflexion que l’on souhaiterait.

Alors vraiment, pour l’art de susciter le débat, on repassera.

Ce qui m’amène au sujet suivant, incontestablement dérisoire en comparaison des questions familiales et, par extension, sociétales, qui occupent ici le haut du pavé.

Cela se passe dans la microsociété de la littérature québécoise. Le 16 mars, Le Monde publie dans son supplément consacré au Salon du livre de Paris un papier de l’écrivain David Homel qui critique la littérature québécoise.

Notez que le thème du salon est la francofffonie*, et qu’au moment où plusieurs s’interrogent sur l’arrogance de la France qui s’exclut de cette francofffonie pour mieux régner sur elle, Homel soumet que la littérature québécoise n’est simplement pas exportable, puisque trop tranquille en raison de la paix sociale qui règne dans notre pays. Ajoutez à cela un cours pour les nuls sur la situation politico-linguistique du Québec dans le Canada, une constatation navrante sur le marché littéraire d’ici et une thèse voulant que la seule culture véritablement exportable du Québec soit celle du geste (cirque, danse, théâtre, chanson), puis attendez l’explosion.

Explosion qui ne s’est pas fait attendre.

"Il est temps que la littérature québécoise soit accueillie partout sur la planète, à commencer par la France. Sinon, sans cette reconnaissance de l’extérieur, elle étouffera. Le temps de l’ignorance et du mépris est terminé", a réagi Madeleine Gagnon dans les pages du Devoir, traitant Homel d’ "écrivain mineur", son papier de "minable", et condamnant Le Monde au passage, lui reprochant d’avoir publié un tissu de mensonges.

Passons sur le fond, où Homel a parfois raison et d’autres fois tort, et regardons plutôt la réponse.

Hystérique, démesurée, dénuée de véritable argument – puisque si on dit que quelque chose est entièrement faux, encore faudrait-il le prouver.

Madeleine Gagnon réagit en colonisée alors même qu’elle dit souhaiter sortir notre littérature de ses chaînes. Elle dit l’importance d’exporter nos auteurs, surtout en France, et cela sonne comme une soumission devant l’infinie grandeur de la métropole.

Mais pire encore, elle oppose au discours de Homel une défense qui a comme seules forces la colère, la violence inutile, et répond au mépris par le mépris. Ce qui fait sourire plus que réfléchir.

Tout ça pour dire que, dans ce cas comme dans l’autre, on évacue le débat au profit du spectacle de nos minables emportements, et donc qu’aussi noble soit la cause, on la défend bien mal.

*L’erreur orthographique n’est pas de moi, c’est ainsi que l’on a décidé d’écrire francophonie pour ce salon. Un chroniqueur du Nouvel Observateur supputait en riant que c’est parce que cela fait plus funny.