Trafic humain : Mourir à tue-tête
Société

Trafic humain : Mourir à tue-tête

Trafic humain, troublante télésérie de Christian Duguay, dénonce le sort terrible réservé à 4 millions de personnes vendues comme esclaves sexuelles à travers le monde chaque année. Entretien avec le réalisateur, l’actrice Isabelle Blais et Diane Matte, coordonnatrice de la Marche mondiale des femmes.

L’an dernier, alors que Christian Duguay tournait Trafic Humain (Human Trafficking), coproduction canado-américaine mettant en vedette Donald Sutherland et Mira Sorvino, on estimait que le trafic sexuel était le troisième marché le plus lucratif après la drogue et les armes. Or, en peu de temps, ce marché, qui grossit à un rythme fulgurant, serait passé au deuxième rang. Si la télésérie nous apprend qu’il y aurait 800 000 personnes vendues comme esclaves sexuelles à travers le monde, la GRC évalue ce nombre à 4 millions.

"Dans les 10 dernières années, la mondialisation a contribué à une expansion très grande de l’industrie du sexe, explique Diane Matte, car il y a aussi eu une expansion très grande de la pauvreté des femmes. Au-delà du trafic sexuel international, il y a couramment des femmes qui sont battues, violées et transportées d’un pays à l’autre, alors qu’elles essayaient tout simplement d’immigrer."

Isabelle Blais poursuit: "Le trafic humain, c’est quelque chose que l’on connaît, mais qu’on ne voit pas; on a l’impression que c’est loin, que ça se passe dans les classes pauvres et peu instruites, mais en fait, on est consommateurs. Tourner Trafic humain devenait presque une mission, on souhaitait que les gens s’ouvrent les yeux. Ce sont les consommateurs que l’on vise parce que s’il n’y avait pas de demande, il n’y aurait pas de marché."

Télésérie tournée avec pudeur, Trafic humain n’en demeure pas moins une illustration percutante d’une terrible réalité pas si loin de nous – le Canada n’étant pas blanc comme neige – mais qui pourtant ne montre que la pointe de l’iceberg: "Le premier scénario exploitait de façon sordide le sujet, il n’y avait pas moyen de le traiter avec réalisme, raconte Duguay. Mon but était de rendre ce message social concret afin d’amener le spectateur à une conscientisation, donc, comme pour les séries sur Jeanne d’Arc et sur Hitler, je suis allé me documenter. J’ai tourné la série avec le plus profond respect que j’aie pour les femmes tout en voulant montrer la sordidité du monde des hommes."

Bien que la télésérie, qui prend l’allure d’un thriller solidement ficelé, ne dévoile pas tous les rouages de l’industrie du sexe à travers le monde, pas plus qu’elle n’aborde le trafic interne, elle dénonce toutefois avec force sa sournoiserie à travers le sort des victimes et tire à boulets rouges sur les proxénètes et les consommateurs. On y voit, entre autres, Helena (Blais), mère de famille monoparentale tchèque, devenir esclave sexuelle après avoir été séduite par un Autrichien (David Boutin) qui la vend à un réseau de prostitution administré par le Russe Karpovich (Robert Carlyle). En Ukraine, la jeune Nadia (Laurence Leboeuf) tombe dans le même piège, alors qu’elle croit avoir décroché un contrat dans une agence de mannequins; afin de la retrouver, son père (Rémy Girard) s’immiscera dans le réseau de Karpovich que la détective Morozov (Sorvino) tente de démanteler.

CHANGER LES MENTALITÉS

Série-choc par excellence, Trafic humain arrivera sans doute à relancer le débat sur la prostitution. "La série devient presque un plaidoyer sur la légalisation de la prostitution, avance Isabelle Blais. On se compte des menteries en se disant que l’on va enrayer la prostitution; il y en a toujours eu et il y en aura toujours – c’est pas pour rien qu’on appelle ça le plus vieux métier du monde. Si c’était légal et géré par l’État dans de bonnes conditions, il n’y aurait peut-être plus de réseaux."

Autre son de cloche chez Diane Matte, selon qui décriminaliser la prostitution revient à dire que le corps de la femme n’est qu’un morceau de viande, une marchandise: "On a beau dire que c’est le plus vieux métier du monde, en fait, le plus vieux métier du monde, c’est le proxénétisme. La prostitution doit être vue comme une institution qui maintient la femme dans une dépendance, comme le mariage, qui, dans certains cas, peut être aussi opprimant que la prostitution."

Selon Diane Matte, le Canada devrait suivre l’exemple de la Suède: "En Suède, ils ont cessé de regarder la prostitution comme une fatalité; ils ont décidé de la regarder comme un obstacle à l’égalité des sexes, une forme de violence envers les femmes. L’une des premières choses que la Suède a faite, ce sont des campagnes disant qu’il est illégal d’acheter un être humain. Cependant, il ne faut pas penser que la Suède a réglé tous ses problèmes…"

Quant à nous, simples citoyens, c’est en brisant le silence sur le trafic sexuel, de même qu’en dénonçant la banalisation de la prostitution et de l’hypersexualisation des enfants que nous pourrons faire avancer les choses: "En ce moment, la mode chez les jeunes, c’est d’avoir un look de pimp ou de prostituée, raconte Matte. Pensez à la chanson qui a gagné aux Oscars: It’s Hard Out There for a Pimp… Il y a des filles de 14 ans qui savent faire des fellations, mais qui ne savent pas où est leur clitoris. Il faut dénoncer ce qu’il y a autour de nous, comme les petits extras des salons de massage. Il y a un processus de changement de mentalités à installer, il faut accroître les opportunités économiques pour les femmes afin d’éviter que la prostitution devienne une option – comme en fin de mois dans les quartiers pauvres. La répression contre les prostituées doit donc être nulle, mais pas celle contre les clients et les proxénètes."

Au moment où l’industrie du sexe ne cesse d’évoluer, Trafic humain arrive donc à point pour sonner l’alarme: "Je pense que c’est mon premier film qui court la chance de changer des vies. Et ça, pour un réalisateur, c’est extrêmement rémunérateur. Je dirais même que cela aura valu la peine que je fasse ce métier-là juste pour cette raison.", conclut Christian Duguay.

ooo

LE TRAFIC SEXUEL EN QUELQUES CHIFFRES

Chaque année…

– De 800 000 à 4 millions de personnes seraient l’objet de trafic sexuel chaque année dans le monde.

– De 8000 à 16 000 femmes d’Europe de l’Est, des Antilles ou de l’Asie transiteraient vers le Canada.

– Près de 1 million d’enfants seraient poussés dans le commerce du sexe.

– Près de 10 000 enfants se prostitueraient au Canada et près de 100 000 aux États-Unis.

– Le trafic sexuel rapporterait 12 milliards de dollars au crime organisé.

À TQS les 2 et 3 avril.
Coffret DVD disponible dès le 4 avril.