Devenir cosmocitoyen
Citoyenne du monde, Monique Bosco exprime sa consternation devant l’état du monde alors que le sociologue Ulrich Beck nous invite à repenser le cosmopolitisme.
Qu’elles soient écologiques, économiques ou terroristes, les catastrophes de notre temps provoquent un sentiment d’impuissance que nous ressentons tous, spectateurs souvent dépassés par la violence du monde et la vitesse étourdissante à laquelle il semble changer.
C’est que le danger, trop souvent associé à l’idée de l’étranger, de "l’autre", est maintenant partout. Dans Ces gens-là, l’essayiste et romancière Monique Bosco exprime avec beaucoup de sensibilité et de justesse la palette des émotions que peut engendrer cette confrontation quotidienne avec l’inconnu que nous impose la mondialisation des échanges.
"Nous sommes dans une époque où il ne fait pas bon vivre quand on veut le faire avec une conscience tranquille", écrit-elle. Devant l’internationalisation des risques et des responsabilités, Bosco donne voix à nos peurs: "C’est l’incertitude qui fait que la terreur gagne toujours du terrain."
L’inconnu nous terrorise. Les défis et menaces de notre siècle ont fait naître une opinion publique internationale frappée d’un pessimisme paralysant parce qu’en manque d’une meilleure compréhension du monde. Une meilleure compréhension qui nécessiterait une vision hors des catégories traditionnelles des identités nationales.
Le sociologue allemand Ulrich Beck, dans Qu’est-ce que le cosmopolitisme?, ouvrage touffu et érudit conçu pour ceux qui, comme Monique Bosco, se sentent égarés dans l’enchevêtrement de nos appartenances, de nos besoins et de nos incertitudes, constate que pour le meilleur ou pour le pire, les loyautés nationales, qui distinguent "nous" des " autres", sont en train de devenir invalides parce qu’elles ne nous fournissent plus de réponses suffisantes aux problèmes qui concernent l’humanité dans son ensemble.
"Quelle étrange folie nous guette, écrit Monique Bosco, quand nous tentons de comprendre le monde de notre mieux avec les outils qui demeurent à notre libre disposition?"
Dans la société mondiale du risque où nous vivons, répond le sociologue allemand, il nous faut nécessairement changer d’outils, changer d’optique. Il faut en finir avec le cadre du patriotisme national et adopter une vision cosmopolitique et réaliste des affaires du monde. Car il a changé! Selon Beck, "la cosmopolitisation renvoie à des cosmopolitismes latents, des cosmopolitismes inconscients, des cosmopolitismes passifs, qui sont autant de conséquences secondaires du commerce mondial ou des dangers globaux".
"Le défi que nous devons relever, écrit Ulrich Beck, est celui de la nouvelle syntaxe cosmopolitique de la réalité." Nous ne devons plus nous en tenir à "l’obstination des nations", puisque la réalité est devenue implacablement cosmopolitique.
Beck n’est pas un rêveur. Il n’envisage pas la possibilité de mettre sur pied une grande fédération des nations ou un gouvernement mondial. Il nous propose plutôt, puisque les moyens nationaux n’ont plus la capacité de défendre réellement nos intérêts nationaux, d’imaginer une "realpolitik cosmopolitique", seule stratégie politique viable à long terme qui naîtrait de la coopération des États-nations entre eux, sans jamais les déposséder de leurs pouvoirs. Beck condamne notre attachement à l’État-nation, "naïveté persistante et sidérante qui consiste à considérer comme éternel ou naturel ce qui, pas plus tard qu’il y a deux ou trois siècles, passait pour contre nature et absurde". Il va même jusqu’à proposer la séparation de l’État et de la nation comme ses prédécesseurs des Lumières l’avaient fait pour l’Église et l’État. Au fond, il s’agirait de se mettre un peu à la place de l’autre, que chacun réalise que pour son voisin, il est "l’autre". Nous sommes tous "ces gens-là".
Qu’est-ce que le cosmopolitisme? d’Ulrich Beck, Aubier, coll. Alto, 378 p.
Ces gens-là de Monique Bosco, Hurtubise HMH, 184 p.