Ni la guerre, ni la paix
Société

Ni la guerre, ni la paix

Le Monty Python Terry Jones et le journaliste Franz-Olivier Giesbert nous montrent, entre autres, en quoi ceux qui font tourner le monde ont une vision fort particulière de la grammaire.

"Comment livre-t-on la guerre à un substantif abstrait?" Terry Jones, des Monty Python, lance la question dans Ma guerre contre la guerre au terrorisme, collection de pamphlets moins humoristiques que moralistes sur les aventures de Bush et Blair au Moyen-Orient.

La guerre de Bush est aussi une guerre des mots. En apôtre du gros bon sens, Jones fait état du formidable bourrage de crâne médiatique effectué par Bush, Blair et leurs amis pour justifier la guerre en Irak et décortique, avec l’esprit qu’on lui connaît, le lexique orwellien qu’ils utilisent pour arriver à leurs fins.

"Comment le terrorisme pourrait-il capituler?" se demande Jones. "Les linguistes savent qu’il est très compliqué d’obliger un substantif abstrait à se rendre […] c’est à peu près aussi sensé que de dire: nous anéantirons l’insolence ou nous allons tourner l’ironie au ridicule."

Dans la langue de Blair et de Bush, les sens sont souvent inversés. Les Britanniques sont donc "courageux" parce qu’ils se rangent du côté des Américains et les Français "lâches" parce qu’ils tiennent tête aux États-Unis.

Dans cette guerre des mots où les sens se confondent, on ne sait plus qui est qui. Que pensent les Irakiens de ce "double jeu des Anglo-Américains, qui prétendent être venus les libérer d’un vilain dictateur, mais qui à leur tour les emprisonnent et les torturent à une échelle que Saddam lui-même n’avait jamais envisagée"?

Le double jeu et la langue de bois sont, on le sait, malheureusement trop souvent l’apanage de la politique.

Franz-Olivier Giesbert, directeur du magazine Le Point, en donne une preuve supplémentaire dans La Tragédie du président, livre-choc franco-français qui retrace, vue des coulisses, la trajectoire en zigzag du président Chirac. Si les Américains et les Britanniques doivent de belles innovations grammaticales à leurs dirigeants, c’est aussi vrai pour les Français. Car Chirac marche dans les pas de son prédécesseur en pratiquant le "ninisme", technique mitterrandienne qui consiste chez un homme politique à affirmer une chose et son contraire; tournure grammaticale à laquelle nous ne sommes pas non plus étrangers de ce côté-ci de l’Atlantique. Les présidents français sont donc, depuis 20 ans, ni de gauche ni de droite, ni pour l’immobilisme ni, non plus, pour le changement.

"Le langage est censé rendre les idées claires, nous rappelle Jones. Mais quand des politiciens tels que Colin Powell, George W. Bush et Tony Blair s’emparent de la langue, leur but se situe généralement à l’opposé, ils s’en servent comme d’une arme pour nous persuader de prendre au sérieux des concepts grotesques."

Heureusement que pour lutter contre la langue de bois, nous avons à notre disposition, sous la forme de quelques livres, des armes de dérision massive.

Ma guerre contre la guerre au terrorisme
Terry Jones
Flammarion, 230 p.

La Tragédie du président
Franz-Olivier Giesbert
Flammarion, 406 p.