Tchernobyl : Avenir contaminé
Vingt ans après Tchernobyl, le sociologue Guillaume Grandazzi et la metteure en scène Marie-Louise Leblanc nous invitent à débattre de l’actualité de cette catastrophe.
Le 26 avril 1986, vers une heure du matin, le réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl, une petite ville d’Ukraine située à quelques kilomètres de la frontière actuelle avec la Biélorussie, explosait, provoquant le plus grave accident nucléaire de tous les temps.
À l’occasion du 20e anniversaire de cette catastrophe, l’Université du Québec à Montréal organise une journée de commémoration et de débat autour de la projection de La Vie contaminée, un documentaire tourné en Biélorussie en 1998 par David Desramé et Dominique Maestrali dans les régions les plus sinistrées par le nuage radioactif, de l’exposition Tchernobyl, 20 ans après réalisée par le photographe tchèque Václav Vasku et de la sortie du livre Les Silences de Tchernobyl, un document rédigé sous la direction des sociologues Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand ainsi que de la journaliste Galia Ackerman, présentant non seulement l’actualité sanitaire et écologique de la catastrophe et de nouvelles hypothèses sur l’origine de l’accident, mais aussi des témoignages et des reportages sur la vie dans les territoires contaminés ainsi que des réflexions d’hommes politiques, de scientifiques, de philosophes et d’artistes sur les conséquences de cette catastrophe.
"Ce n’est pas une commémoration au sens stricte du terme", précise Guillaume Grandazzi, un des auteurs de l’ouvrage. "Tchernobyl, ce n’est pas du passé… On peut même dire que c’est une catastrophe inscrite dans le futur: il faudra des milliers d’années pour que le plutonium disparaisse des sols et aujourd’hui, huit millions de personnes vivent toujours dans les territoires contaminés par les retombées radioactives. On ne sait pas combien de morts et de maladies sont encore à attendre", constate-t-il. Cela fait 10 ans que ce chercheur en socio-anthropologie étudie sur le terrain les conséquences de l’accident nucléaire. Il se bat aujourd’hui pour que les victimes de l’explosion soient reconnues et qu’on n’enterre pas la catastrophe. "L’ONU a récemment publié un rapport honteux prétendant que les conséquences de Tchernobyl se limitaient à 40 morts et 4000 cancers de la thyroïde! C’est dérisoire par rapport à la réalité: d’après nos études, il y a déjà eu plusieurs centaines de milliers de morts à la suite de l’explosion de la centrale, et les gens là-bas continuent à consommer des légumes cultivés dans une terre contaminée!" s’exclame-t-il. Farouchement opposé à l’utilisation de l’énergie nucléaire, Guillaume Grandazzi dénonce les importants enjeux économiques qui poussent les États européens à vouloir enterrer le dossier Tchernobyl. "On prétend que l’accident aurait été causé par l’obsolescence des matériels soviétiques pour rassurer l’opinion publique. C’est un discours mensonger et criminel: cela peut survenir n’importe où et n’importe quand!" déclare-t-il, persuadé que les gouvernements n’ont pas tiré les conséquences de la catastrophe, à l’heure où on parle de plus en plus de favoriser l’énergie nucléaire face à la pénurie de pétrole.
Donner la parole aux victimes de Tchernobyl et parler de leur quotidien lui semblent donc des enjeux capitaux pour l’avenir de l’humanité. C’est dans ce but que la metteure en scène Marie-Louise Leblanc présentera une lecture de La Supplication à la Librairie Monet et dans les maisons de la culture de Montréal. Ce spectacle, réalisé à partir de témoignages véridiques de victimes de l’explosion retranscrits à la première personne par l’auteure biélorusse Svetlana Alexievitch, témoigne lui aussi de l’actualité de la tragédie de Tchernobyl. "Le théâtre permet de sortir de la science-fiction, de ressentir le désastre de l’intérieur, de percevoir ce nuage radioactif invisible, inodore, incolore qui empoisonne l’univers, de dire enfin cette menace indicible", explique la metteure en scène qui s’est spécialisée dans l’adaptation de textes politiques au théâtre. Sur scène, quatre acteurs, trois femmes et un homme, se feront donc les porte-voix des anciens travailleurs de la centrale, des médecins, des soldats, des paysans, des intellectuels, des femmes et des hommes pour qui Tchernobyl est devenu une réalité quotidienne. "La Supplication montre que les paysans qui ont vécu la contamination de leurs terres ont beaucoup plus de choses à dire que les scientifiques face à cette catastrophe métaphysique. Cela nous pousse à nous interroger sur l’avenir de l’humanité car comme le dit si bien un des personnages de la pièce: "Personne n’est coupable de cette destruction, sauf… nous-mêmes"", déclare-t-elle.
Forum Tchernobyl
Le 26 avril dès 14h
À l’Amphithéâtre SH-2800 du pavillon Sherbrooke de l’UQAM
Tchernobyl, 20 ans après
Jusqu’au 30 avril
À la Librairie Monet, Galerie Normandie, 2752, rue de Salaberry, 514 337-4083
La Supplication
Le 25 avril à 20h à la Librairie Monet
Le 26 avril à 20h à la Maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce
Le 27 avril à 20h à la Maison de la culture Frontenac