Il existe mille manières de faire diversion. De glisser sur la surface des choses.
Pour Jean-Paul L’Allier, un habile politicien maîtrisant l’art de la rhétorique, la parade consistait à tartiner le plus épais possible en s’éloignant d’une question pour y revenir sournoisement, vous écrasant ses idées à la gueule avec une détestable assurance.
Un exemple?
Vous lui parliez des fêtes du 400e anniversaire de Québec, de ses intentions pour celles-ci, et le voilà qui se perdait en histoires aussi élégantes que délirantes, arrivant par on ne sait quel détour au génie et au sens de l’innovation des Hollandais auxquels on avait prédit qu’un système de digues n’empêcherait jamais la mer de venir submerger leurs terres.
Morale de l’histoire: il ne faut en faire qu’à sa tête lorsqu’on est convaincu de tenir une bonne idée.
Immédiatement, donc, on oublie la question de départ, la réponse renvoyant au nouveau quartier Saint-Roch, ce qui impose le respect.
Mais cela renvoie aussi, puisqu’il est question de digues, à la Nouvelle-Orléans, ce qui nous amène au désastre des premiers mois en poste d’Andrée Boucher.
Un désastre, vraiment? Ben sûr que non, j’exagère. On me paye pour cela.
Parlons plutôt de la conséquence d’un désastre sans le désastre lui-même: la néantisation. Car c’est l’unique bilan que l’on peut faire de l’an 0,5 de l’administration Boucher: Rien. Nada. Zilch. Sweet lovely fuck all.
Rien. Sauf peut-être l’exécrable guerre paralysante que se livrent la mairesse et son opposition dans une lutte à finir pour s’assurer de qui aura l’ego le plus honteusement démesuré d’Andrée Boucher ou d’Ann Bourget.
Chez Marie-France Bazzo, dont le show s’était transporté chez nous pour le Salon du livre la semaine dernière, quelques collègues et l’indécrottable Thibodeau s’évertuaient justement à brosser l’impressionniste portrait de ces premiers mois du règne d’Andrée Première. Je crois que c’est Samson – du Journal de Québec – qui disait qu’il faudra attendre les premiers vrais budgets de la mairesse pour se prononcer, le précédent étant largement l’héritage de l’administration L’Allier.
J’aurais envie de lui répondre que cela n’y changera strictement rien, d’autant que le bilan entier des quatre années au pouvoir de la mairesse est déjà tout tracé.
En effet, selon toute vraisemblance, madame Boucher laissera derrière elle une administration en parfaite santé, soigneusement dégraissée, voire désossée. C’était son unique plan. Ce sera son unique legs.
Et c’est justement ce que je lui reproche.
Car si Jean-Paul L’Allier garochait le fric par les fenêtres, il incarnait cependant cette ville de tout son être. Andrée Boucher, elle, a plutôt l’âme d’une feuille de calcul Excel.
C’est d’ailleurs là, dans les chiffres, dans la dictature de la saine gestion, que réside l’art de la diversion chez cette politicienne: dévoiler le monstre qu’on avait caché sous le tapis, exposer les aberrations administratives, exhumer les pseudo-scandales et en faire des montagnes sur lesquelles la mairesse danse pour le plus grand bonheur d’une foule qui regarde en exultant. Un beau spectacle de cabotinage politique qui permet de dissimuler une myopie idéologique, une absence d’idée directrice, sinon, encore et toujours, de torcher derrière l’administration précédente.
C’est, finalement, le négatif du téléroman Marilyn, où la comédienne Louisette Dussault jouait une femme de ménage qui devient mairesse de Montréal. Ici, Andrée Boucher EST la mairesse de Québec qui joue une femme de ménage.
Vous me suivez? Ça n’a aucune importance.
Ce qu’il faut dire, cependant, c’est que madame Boucher est le pur produit de l’état de la démocratie actuelle. Ou si vous préférez, de l’inclination – pour ne pas dire de l’obsession – de la population, chez nous, pour des dirigeants centrés sur les rouages de leur propre machine. Une machine qu’on veut propre.
La victoire d’Andrée Boucher et le vide sidéral qui l’entoure depuis son arrivée au pouvoir n’ont donc rien d’extraordinaire. Au contraire. Cette victoire, c’est justement celle de l’ordinaire. Le triomphe de la file d’attente à la caisse chez Provigo. Des bancs de neige pelletés dans la rue au printemps. Des romans de Marie Laberge. Des haies de cèdre. Du Dracula de Bruno Pelletier. Des vacances à Old Orchard. De Gilles Parent. Du Walmart. Des hot dogs. Du cinéma IMAX, des minivans et de l’Expo.
Finalement, je me trompais peut-être, et Andrée Boucher incarne-t-elle ce qu’est devenue Québec…
Autre époque, autre transsubstantiation?
Mais je sens que vous me trouvez méprisant. Ne m’en voulez pas, surtout. Pendant que vous êtes là, à vous réjouir de cette dictature du gros bon sens où la seule et unique idée qui puisse nous rassembler prend la forme d’une baisse de taxes ou d’un solde de fin de saison chez Réno-Dépôt, le doux cynisme est un antidote qui me permet, à moi, de faire comme tous les gens normaux qui ont voté pour Andrée Boucher, et comme la plupart de nos politiciens.
Soit, à mon tour, de plus ou moins gracieusement glisser sur la surface des choses.