Jean Lapointe : De la scène au Sénat
Société

Jean Lapointe : De la scène au Sénat

Jean Lapointe lançait ce mois-ci en DVD une compilation de ses meilleurs moments sur scène. Il nous parle de son engagement, de sa fonction de sénateur et de son métier.

Richard Martineau, dans le Voir de la semaine dernière, a critiqué vos recommandations par rapport aux machines à sous. Selon lui, "la plupart des gens jouent au vidéopoker de façon responsable, pour s’amuser ou passer le temps". Qu’auriez-vous à lui répondre?

"Monsieur Martineau n’est pas au courant de toutes les recherches que j’ai faites. J’ai à ma disposition cinq études indépendantes qui prouvent noir sur blanc que les loteries vidéo coûtent au moins deux fois plus que ce qu’elles rapportent à l’État: absentéisme, criminalité, divorce, suicide. Le coût social de ces machines est énorme. J’ai des centaines de lettres et de courriels de gens désespérés qui ont tout perdu. Je ne veux toutefois pas qu’on détruise les machines, je veux qu’on les relocalise, c’est tout! J’ai fait le tour de la ville de Montréal et je dois vous dire qu’on les retrouve majoritairement dans les quartiers défavorisés. J’en ai cherché à Westmount et je n’en ai pas trouvé une seule. Les loteries vidéo, pour moi, c’est l’équivalent du crack…"

…et l’État serait le pusher?

"Ce n’est pas à moi de dire ça! Le gouvernement québécois fait des efforts pour essayer de diminuer l’impact du problème en prévenant les gens et en finançant des programmes d’aide. Mais le drame principal, c’est la proximité de ces machines."

Que pensiez-vous du projet d’hôtel-casino qu’avaient présenté Loto-Québec et le Cirque du Soleil à Montréal?

"Je n’étais pas contre! Les établissements qui gèrent des loteries vidéo n’ont pas tout le contrôle qu’ont les casinos sur leur clientèle. Les casinos, c’est autre chose. Je pense que ce projet qui comprenait un casino jumelé à un hôtel de luxe et à des spectacles du Cirque du Soleil aurait pu amener des touristes américains chez nous."

En 51 ans de vie publique, vous êtes devenu une sorte d’autorité morale. On vous demande de plus en plus votre avis sur tout, y compris sur des questions très politiques.

"J’ai du vécu du côté de l’alcool et du côté du jeu. C’est pour ça que les gens me font confiance. Parce que je suis loin d’être un saint. Je suis loin d’être un McCarthy, je ne vois pas des alcooliques partout, comme lui voyait des communistes partout. Je ne suis pas un moralisateur, j’ai trop de défauts pour ça! Par contre, je suis sensible à la souffrance des moins fortunés. Quant à la politique: je suis fédéraliste, mais j’ai dit que s’il n’y avait pas de changements, si le gouvernement fédéral ne se penchait pas sur le Québec de façon très sérieuse avec un lac Meech amélioré, avec une façon de reconnaître les Québécois comme un peuple distinct, ceux-ci se verraient forcés de prendre une décision sérieuse. Un Québec quasi indépendant dans un Canada fort, c’est la meilleure solution."

Vous êtes un fumeur, que pensez-vous de l’interdiction de la cigarette dans les lieux publics qui entrera en vigueur cet été?

"Je suis pour la disparition de la cigarette dans 30, 40, 50 ans. Je suis absolument pour. Mais j’ai coupé les femmes, j’ai coupé l’alcool, laissez-moi quelque chose! Je pense que pour ce cas-là, les droits et libertés individuels ne sont pas respectés. Qu’on crée des clubs fumeurs, les non-fumeurs n’auront qu’à ne pas y aller. C’est d’ailleurs ce que je propose pour les loteries vidéo!"

Avant, vous aviez un public. En tant que sénateur, vous faites affaire avec des citoyens. Votre relation avec les Québécois a-t-elle changé?

"Ça fait 52 ans que je suis dans le public. L’être humain, ça fait partie de mes croyances. Je prends toujours le temps de répondre à tous ceux qui m’écrivent, sauf, bien sûr, aux imbéciles qui disent que je suis un traître parce que j’ai décidé de venir travailler à Ottawa. Je suis d’abord et avant tout un artiste, c’est mon métier. Sénateur, c’est une fonction grâce à laquelle je peux accomplir des choses concrètes et j’en profite pour le faire."

Aimeriez-vous tout de même passer un peu plus de temps à parler de votre art, plutôt que de vos causes?

"Non, parce que les causes que je défends me touchent vraiment. Évidemment, je suis content de voir que mon DVD se vend bien. Vous savez, j’aurais pu en faire cinq, des DVD, mais j’ai préféré n’y mettre que mes meilleurs numéros. Ce qui est formidable avec ce projet, c’est de voir des jeunes qui me découvrent et qui découvrent Devos et Félix grâce à ce DVD."

Vous êtes, en quelque sorte, le premier showman francophone. Vous avez ouvert la voie aux Stéphane Rousseau et Anthony Kavanagh dans la francophonie.

"Non, ils ont construit leur carrière tout seuls. Ils n’ont pas eu besoin de moi. Cela dit, c’est vrai qu’il y a quelque chose d’américain dans ce que je fais. Des humoristes chanteurs, compositeurs et musiciens, ça ne se voyait pas souvent! D’ailleurs, c’est Michel Drucker qui a trouvé le titre d’un de mes spectacles en France: Showman!"

Vous avez fréquenté beaucoup de chansonniers. Aujourd’hui, la chanson fait son grand retour dans les pays francophones.

"C’est quelque chose qui est très proche de moi. J’aime la profondeur, le rire aux larmes. J’aime beaucoup ce que font certains jeunes comme Pierre Lapointe. Félix avait prévu ce retour à la chanson. Il disait: "Un jour viendra où l’on retrouvera les guitares sèches, les paroles, les chansons comme celles de Brel, de Brassens, de Léo Ferré et de mon grand ami Jean-Pierre Ferland." C’est ce qui se passe en ce moment."

Jean Lapointe
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