Le choc des titans
Société

Le choc des titans

Selon le spécialiste de l’Asie Jean-François Susbielle, l’irrésistible poussée de la Chine provoquera un affrontement militaire avec les États-Unis. Et le déclenchement des hostilités est pour demain…

Oubliez un instant la guerre contre le terrorisme islamiste. Si le budget militaire des États-Unis explose depuis l’arrivée de W. Bush et de ses faucons, si l’on s’affaire à élaborer un système de bouclier antimissile, c’est avant tout pour contrer l’ascension de l’empire du Milieu, seule menace à l’hégémonie américaine. Le véritable ennemi de l’aigle américain n’est pas le fou d’Allah, mais le dragon chinois, selon l’expert en géopolitique français Jean-François Susbielle. Nous l’avons joint à Paris.

Vous écrivez que la grande crainte des États-Unis ne vient pas du monde musulman, mais de la Chine à qui ils déclareront la guerre bientôt. Voilà toute une affirmation!

"Oui. Et je ne suis pas un partisan de la guerre, ni un illuminé, ni un partisan des théories du complot. D’ailleurs, je ne suis pas le seul à prédire cet affrontement militaire. J’en suis venu à cette conclusion d’une guerre programmée car lorsque l’on compare les PIB respectifs de la Chine et des États-Unis, on constate que celui de la Chine, en termes de pouvoir d’achat, représente maintenant les deux tiers de celui des États-Unis. C’est un très grand rattrapage en très peu de temps.

Dans l’histoire de l’humanité, une puissance ne conquiert pas son hégémonie de manière amicale et pacifique. Cela se fait par l’intermédiaire d’un conflit militaire la plupart du temps. C’est mécanique. C’est la loi de la domination."

Pourtant, les États-Unis et l’Union soviétique ont coexisté durant plusieurs décennies. Pourquoi attaquer la Chine aujourd’hui?

"Pour les États-Unis, il n’y a pas d’autre solution. Ils sont de loin la première puissance militaire au monde. Mais sur le plan économique, la Chine représente leur seule menace. Une menace plus importante que toutes celles qu’ils ont eu à contenir.

L’Union soviétique représentait une menace idéologique, pas économique. Or, on ne se bat jamais vraiment pour l’idéologie, mais pour des choses plus matérielles. Pendant la guerre froide, la coexistence pacifique a très bien fonctionné car il n’y avait pas de frictions économiques, l’hégémonie des États-Unis dans ce domaine était assurée.

Le mouvement qui est en train de supplanter tous les autres, c’est la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Il n’y a pas autre chose. La Chine est un concurrent, un adversaire, et ne peut que devenir un ennemi. C’est pour ça que la guerre est programmée et inévitable.

Aujourd’hui, les États-Unis contrôlent tout avec une population de 300 millions d’habitants. La Chine a un milliard et demi d’habitants officieusement. Or, on ne peut pas nier à ce pays le besoin de constituer une force militaire pour défendre son territoire. Mais la Chine a besoin de temps. Les États-Unis, de leur côté, ne peuvent pas attendre que la Chine s’arme davantage. De plus, l’Iran, qui lui fournit du pétrole, est un grand allié de la Chine…"

C’est aussi la peur de la Chine qui est à l’origine du projet américain de bouclier antimissile, qui paraît dérisoire face au terrorisme islamiste…

"Oui. Or, le bouclier antimissile n’est sûr à 100 % que si l’ennemi a très peu d’ogives nucléaires. Ce qui n’est pas le cas de la Russie, par exemple, qui en a plus de 5000. Mais dans le cas d’un conflit avec la Chine, qui n’a que quelques dizaines de missiles intercontinentaux, le bouclier fonctionnerait à 100 %."

Vous prévoyez le déclenchement des hostilités pour 2008!? Pourquoi cette date?

"La Chine est l’usine du monde sur le plan économique. Elle est aussi le premier client des industries qui font des biens d’équipement. Mais la Chine ne sera pas acheteur de biens d’équipement très longtemps, elle veut devenir productrice de ces biens et concurrencer les États-Unis. Les États-Unis ont ainsi intérêt à faire dérailler la Chine car en 2008, elle sera pourvoyeur de technologies.

Quel sera le catalyseur? C’est secondaire car toutes les conditions pour qu’il y ait un affrontement militaire entre les États-Unis et la Chine sont réunies. Les États-Unis n’ont pas de temps à perdre tandis que la Chine fait tout pour gagner du temps."

Les Chinois aussi se prépareraient à la guerre. Vous relevez des propos très va-t-en-guerre du ministre de la Défense, Chi Haotian, qui soutient que ce n’est que par la guerre que la Chine obtiendra le temps et l’espace nécessaires pour se développer davantage…

"Pour eux également, ça ne fait aucun doute. Adeptes de la réalpolitik, les Chinois ne sont pas des rêveurs. Évidemment, personne ne veut la guerre. Mais ça s’est toujours passé comme ça dans l’histoire de l’humanité. Les Chinois savent qu’ils devront se battre."

Mais attaquer la Chine ne serait-il pas suicidaire? Ce faisant, les États-Unis ne ruineraient-ils pas leurs relations économiques avec elle? Nombre d’entreprises salivent à l’idée d’envahir cet immense marché…

"Les États-Unis sont le premier client de la Chine. Mais de nombreux pays de la planète peuvent remplacer le fournisseur chinois. Les États-Unis sont en train de pousser l’Inde pour faire contrepoids à la Chine.

C’est la Chine qui pâtirait le plus d’une dégradation des achats américains. Cela plongerait le pays dans une crise profonde. Les États-Unis, comme le Japon ou l’Allemagne, vendent à la Chine des biens d’équipement.

Aussi, la Chine sera bientôt fournisseur de technologies, et concurrencera les grands noms du Dow Jones. Elle a un plan qu’elle suit méthodiquement pour maîtriser et contrôler toutes les technologies de l’avenir. Son économie est planifiée et donc très efficace, contrairement à celle des États-Unis qui est basée sur le "struggle for life".

Wal-Mart et Wall Street militent pour le statu quo, alors que le Pentagone et les néocons veulent faire dérailler la Chine le plus vite possible.

La situation se dénouera lorsque Wall Street et le Japon se rendront compte que la Chine concurrence leurs ténors, et ce jour-là, l’histoire d’amour se terminera…"

Jean-François Susbielle
Chine-USA: La Guerre programmée
Éditions First, 2006, 379 p.