En route pour l’aéroport PET où je devais prendre le premier de deux vols me menant à la Nouvelle-Orléans, j’écoutais à la radio le promoteur d’un projet de condos à Sillery répondre à ses détracteurs qui, eux, craignent que l’érection de tours à logements n’entraîne d’abord une augmentation dramatique du flux d’automobiles sur le chemin Saint-Louis, puis aussi la disparition de l’un des boisés les plus anciens de ce secteur de la ville.
Il fallait l’entendre brailler, ce pusher d’immobilier, maudissant notre époque où plus rien ne peut se faire sans qu’un amant des grenouilles ou un fumeux d’écorce de bouleau ne s’interpose…
Impression de déjà vu, puisqu’à peu de choses près, on aurait cru se retaper le discours d’un Lucien Bouchard qui, la veille, déplorait lui aussi la morosité économique du Québec, citant l’échec du projet du casino Loto-Québec-slash-Le Cirque du Soleil à Pointe-Saint-Charles comme une autre preuve du pouvoir paralysant des groupes de pression.
Litanie de plus en plus populaire chez les disciples d’Alain Dubuc qui élèvent la création de richesse au rang de religion pour trotskistes défroqués à laquelle seuls les inconscients n’adhèrent pas, cela nous renvoie à une époque où le progrès faisait figure de vertu contre laquelle il était bien mal venu de s’opposer, de peur de subir l’anathème des dépositaires du "ce qui est bon pour nous et notre avenir".
Des bretelles d’autoroute qui se terminent dans une falaise et pour lesquelles on doit défigurer tout un quartier? C’est le progrès. Du béton sur les rives de la rivière Saint-Charles? Le progrès aussi. Des citernes tout le long du littoral du fleuve, depuis les ponts jusqu’au Vieux-Port? Encore ce putain de progrès. Un bunker gris digne de l’architecture d’un abri antinucléaire pour abriter le téléphérique de la chute Montmorency? Et vive le progrès! Le prolongement de l’autoroute du Vallon. Allez, tout le monde en choeur: Le! Pro! Grès! La vente d’une partie du parc du Mont-Orford? Attention, ça, c’est de la création d’emplois… et c’est aussi le progrès!
Mais je sens que vous me prenez pour un de ces licheux de crapauds dont je parlais plus haut. Ce qui n’est pas le cas. Au contraire, ceux-là m’énervent un peu aussi, surtout lorsqu’il leur arrive d’invoquer le caractère sacré de la nature avec une ferveur de preacher qui confine au ridicule.
Quoique, s’il est vrai qu’on peut reprocher à plusieurs d’entre eux le manque de profondeur du discours et la faiblesse de certains arguments, il faut admettre que l’âpreté et le dogmatisme de leurs interlocuteurs commande parfois que l’on simplifie au possible, quitte à user d’un vocabulaire réducteur et d’un alarmisme démesuré qui pourra agir comme frein au rouleau compresseur du sacro-saint développement.
Ce qui m’amène à poser une question. Voire deux.
Se pourrait-il qu’il faille chaque fois gueuler comme des perdus pour empêcher que soit fait le fatidique faux pas qui sépare l’inaction de la bêtise irréparable?
Et se pourrait-il donc qu’il faille emprunter un discours imbécile pour conjurer les imbéciles?
Si c’est bien le cas, ne voilà rien de trop reluisant pour une démocratie où le seul contrepoids efficace à une décision douteuse ne serait plus politique, et tiendrait plutôt du hurlement. Édifiant, non? Mais j’ai comme l’impression de radoter, je m’en excuse. Ceux qui sont abonnés à cette chronique me pardonneront, ils connaissent mes accès passagers de sénilité précoce.
Revenons donc au dossier des condos, dossier pour lequel il sera heureusement inutile de beugler. En fait, j’irais même jusqu’à vous susurrer à l’oreille de ne rien craindre, bonnes gens, puisque notre mairesse veille au grain.
"Ça peut être une tour à condos de 10 ou 12 étages, dit Mme Boucher. Quand c’est beau et bien fait, c’est loin de dévisager la ville", confiait-elle au Soleil-en-format-compact.
Vous voilà rassurés, non?
Avec Andrée Boucher comme juge du bon goût en matière d’immobilier (remember le Taj Mahal?), ne reste plus qu’à confier aux architectes de l’édifice d’Ameublements Tanguay, aux abords du boulevard de la Capitale, le soin de tracer les plans de ces condos, et nous serons entre bonnes mains.
Le boisé, lui? La mairesse a déjà rejeté l’idée de l’acheter afin de le préserver.
On la comprend. Quelle dépense inutile. D’autant qu’on sait bien que des arbres ne valent rien tant qu’ils ne sont pas encore couchés par terre.