Le documentaire Tabac, la conspiration : Choisir la dépendance
Société

Le documentaire Tabac, la conspiration : Choisir la dépendance

Ce sera officiel le 31 mai prochain. Partout au Québec, il sera interdit de fumer dans les bars et les restaurants. La cigarette aura perdu une autre bataille, mais l’industrie du tabac est loin d’avoir rendu les armes…

Le 26 avril dernier, la tournée Monchoix.ca s’arrêtait au bar Le Skratch de Brossard. Organisme sans but lucratif financé par les fabricants canadiens de produits du tabac, Monchoix.ca entend défendre les "droits des fumeurs adultes".

Après avoir mené une campagne publicitaire agressive et mis sur pied un site Internet au coût de 2,5 millions de dollars, Monchoix.ca a lancé récemment une tournée de spectacles mettant en vedette des artistes de la relève. À chaque concert, l’organisme en profite pour recruter de nouveaux membres.

Plusieurs artistes ont accepté, contre rémunération, d’associer leur nom à la cause de Monchoix.ca. Les plus connus: Anik Jean, Steve Hill, Papillon, Dédé Traké, Hugo Lapointe. Ce dernier, joint au téléphone quelques heures avant de monter sur scène, estime que l’État ne devrait pas empêcher la cigarette d’entrer dans les bars. "Les propriétaires de bars devraient avoir leur mot à dire", dit-il.

Pour Monchoix.ca, les fumeurs ont le droit de fumer et d’être respectés. L’intelligence derrière ce discours, c’est qu’il repose sur une valeur inattaquable: la liberté de choix. C’est sans mentionner qu’en mettant le "choix" de fumer entre les seules mains des fumeurs, l’industrie du tabac évite de trop attirer l’attention sur elle.

Pour la réalisatrice Nadia Collot, auteure du documentaire Tabac, la conspiration, l’approche de Monchoix.ca est hypocrite, mais en tout point conforme à la stratégie employée depuis un demi-siècle par l’industrie du tabac. Celle de "faire passer un mensonge en lui ajoutant un grain de vérité". "En principe, le fumeur a effectivement le choix de fumer ou non, dit-elle. Quoique 70 % des fumeurs voudraient arrêter, mais n’y arrivent pas. Ceux-là ont-ils vraiment le choix? Et ceux qui ne veulent pas cesser de fumer ont-ils le droit de polluer l’air des gens autour d’eux?"

Nadia Collot croit que l’industrie du tabac s’en sort indemne lorsqu’on aborde la question du tabagisme uniquement sous l’angle du "choix des fumeurs". "J’en ai assez de lire des articles contre les fumeurs, dit-elle. C’est à eux qu’on fait porter l’odieux, alors qu’ils sont avant tout victimes de manipulation de la part de l’industrie du tabac."

Née à Montréal et basée à Paris depuis 15 ans, Nadia Collot, une ex-fumeuse, a pris trois ans pour pondre son documentaire, un pamphlet virulent contre les grands cigarettiers. Elle a visionné 200 heures de documents d’archives, consulté des experts sur trois continents, parcouru des montagnes de documents.

Avec Tabac, la conspiration, la réalisatrice a voulu comprendre comment cette industrie avait manoeuvré pour continuer à s’enrichir avec un produit qui tue cinq millions de personnes par an dans le monde. En effet, le défi n’est pas simple. Pour y arriver, ça prend des cerveaux, un effort concerté, de la créativité, de l’argent et encore de l’argent.

LE COMMERCE DU DOUTE

"Le 15 décembre 1953, le commerce du tabac est devenu le commerce du doute", dit Nadia Collot. Ce jour-là, lors d’une réunion au sommet, les ténors de l’industrie de la cigarette ont décidé de faire front commun pour lutter contre la menace scientifique. À l’époque, des chercheurs commençaient à lier la cigarette à diverses formes de cancer. "L’industrie a donc décidé d’attaquer, avant que tout cela ne se sache trop", poursuit la réalisatrice. L’objectif: semer le doute dans l’opinion publique.

Au cours des années suivantes, l’industrie a donc financé des centaines d’études minimisant les dangers de la cigarette. Des études qui, pendant plusieurs années, ont contribué à brouiller les cartes. Fumer est-il vraiment aussi dangereux qu’on le dit?

Il y a maintenant consensus sur la question. Même l’industrie du tabac admet que la cigarette est cancérigène et que la nicotine crée la dépendance. Il aura néanmoins fallu presque 50 ans pour y arriver.

Malgré tout, cette même industrie refuse toujours de mettre sur le marché des produits moins nocifs. Dans Tabac, la conspiration, Nadia Collot montre pourtant que les géants du tabac ont depuis longtemps inventé des distributeurs de nicotine efficaces et sans danger pour la santé.

AU GRAND ÉCRAN

Aujourd’hui, l’industrie du tabac ne peut plus nier les dangers de la cigarette. Mieux, elle lutte maintenant contre le tabagisme chez les jeunes. L’initiative est-elle sincère? Nadia Collot croit que non.

En 1998, l’"entente globale" intervenue entre les géants de la cigarette et le gouvernement américain a mené à l’interdiction de la publicité de cigarettes sur les panneaux-réclames et à l’abandon des personnages de dessins animés dans les publicités de cigarettes (susceptibles de séduire les enfants). "À partir de ce moment, dit Nadia Collot, l’industrie s’est mise à contourner cette réglementation en créant des sociétés de placement de produits au cinéma." Aujourd’hui, les grandes marques de cigarettes sont vues dans de nombreux films pour toute la famille. Tellement qu’en 2002, 2004 et 2005, les centres américains de contrôle des maladies ont identifié la cigarette au cinéma comme étant un "facteur majeur" de tabagisme juvénile.

QUELLES SOLUTIONS?

De Monchoix.ca au placement de produits, l’industrie du tabac a de brillantes stratégies et de gros budgets pour les mettre en oeuvre. La lutte au tabagisme est-elle perdue d’avance? Interdire la cigarette apparaît impossible. Et la taxer davantage ne ferait que transposer le fardeau, encore une fois, sur le dos des fumeurs.

Non, pour Nadia Collot, il est temps que l’industrie ramasse la facture. "D’abord, le gouvernement devrait l’obliger à ne plus mettre de poison dans ses produits. Ensuite, il faudrait la forcer à assumer une part de responsabilité dans le coût des soins de santé."

Tabac, la conspiration
De Nadia Collot
À la salle du Parallèle d’Ex-Centris
Du 5 au 18 mai
Le film sera aussi présenté à Canal D, le dimanche 28 mai, 21 h