Lekhaim! : Outremont casher
Société

Lekhaim! : Outremont casher

Dans son livre Lekhaim! Malka Zipora dresse le portrait de la communauté juive hassidique ultra-orthoxe de Montréal et fait tomber les barrières culturelles.

Malka Zipora a accepté de rencontrer des journalistes à la bibliothèque d’Outremont pour célébrer le lancement de son recueil de nouvelles intitulé Lekhaim! Chroniques de la vie hassidique à Montréal, paru aux Éditions du Passage. À la condition qu’il n’y ait que des femmes à la conférence de presse et qu’on ne la prenne pas en photo. "Chez nous, une personne a seulement trois occasions dans sa vie d’être au centre de l’attention: sa naissance, son mariage et sa mort. Le lancement de ce livre, c’est quelque chose d’exceptionnel pour moi!", explique-t-elle. Habillée d’un tailleur sombre, les cheveux recouverts d’une perruque comme le veut la tradition, elle parle de son quotidien.

Avant d’être écrivain, Malka Zipora est l’épouse et la mère d’une famille juive hassidique de douze enfants qu’elle élève dans le quartier d’Outremont. Sa vie suit le rythme des 613 lois prescrites par le judaïsme et des traditions religieuses propres à la communauté hassidique (du mot hassid qui signifie pieux en hébreux): les prières tôt le matin et tard le soir, la préparation des repas casher, les fêtes et les commémorations… "Ma vie gravite en bonne partie autour de ma communauté ou de mes proches. Jamais je n’aurais crû qu’un jour, j’écrirais un livre destiné à un public plus large. De fait, en quoi notre façon de penser pourrait-elle intéresser quiconque ne la partage pas?", s’interroge Malka Zipora dans la préface de son livre.

En 22 courts récits inspirés de sa vie quotidienne et familiale, elle brosse le portrait vivant et coloré d’une des "minorités visibles" les plus discrètes de Montréal. Rassemblés dans les quartiers d’Outremont et du Mile-End, les quelque 6 000 membres de la communauté juive hassidique ultra-orthodoxe de Montréal, dont les premiers membres venus de l’Europe de l’Est s’installèrent dans notre métropole dans les années 1940-1950 pour fuir les horreurs de l’Holocauste, forment un petit monde fermé, structuré autour de leurs synagogues et de leurs écoles spécifiques, se mélangeant peu avec les autres communautés, même si les habitants du quartier les croisent régulièrement à la pharmacie, chez le médecin ou dans l’autobus. "Nous vivons, si je puis me permettre cette métaphore, les rideaux fermés sur le monde extérieur […] En publiant ces textes, c’est comme si j’avais entrouvert les rideaux de ma maison", révèle l’auteure.

Au fil de son récit émaillé de mots hébreux, yiddish (sa langue maternelle qui est l’idiome germanique traditionnel des Juifs d’Europe de l’Est) et hongrois (ses parents sont nés en Hongrie), on apprend la signification des fêtes de Hanouka (fête des lumières, célébrée en décembre-janvier), la composition traditionnelle d’un menu de sabbat, l’art et la manière de construire une souca (une cabane construite traditionnellement lors de la fête de Soucot en septembre-octobre pour commémorer la traversée du désert du peuple hébreux après sa fuite d’Egypte). Mais l’écrivain semble surtout nous avoir ouvert une fenêtre sur son coeur dans ce livre résolument optimiste conçu comme une ode "À la vie" (traduction de l’expression hébraïque Lekhaïm!). Elle y conte ses petits bonheurs quotidiens et ses instants de détresse, livrant d’anecdote en anecdote une fine analyse du monde moderne et de ses névroses, comme la "téléphonite" aigue, les exigences des orthodontistes, les joies de l’informatique ou la folie des régimes… Et quand elle nous explique avec beaucoup d’humour que suivre un régime santé est bien plus compliqué que manger casher, on arrive presque à la croire!

Ses nouvelles, elle les a composées "sur des sacs d’épicerie et des dos d’enveloppe", entre deux tâches ménagères, pour s’amuser et faire rire ses amies. Jamais elle n’aurait pensé à les publier si une jeune étudiante travaillant sur une thèse de l’aménagement urbain, Julie Gagnon, et une employée de la municipalité de Montréal, Joaquina Pires, n’y avaient vu une occasion de créer autour de cet ouvrage un pont "entre voisins de diverses origines" et si l’anthropologue et historien, Pierre Anctil, spécialiste des relations entre Québécois francophones et Juifs, ne l’avait encouragée en acceptant de traduire ses textes. "Pour moi, c’est une entreprise humble. Je ne veux pas parler au nom de ma communauté. Dans ce monde devenu si technologique et si complexe, je veux simplement toucher les gens, trouver grâce à mon écriture quelque chose de commun malgré toutes nos différences", affirme Malka Zipora.

Lekhaim! Chroniques de la vie hassidique à Montréal
de Malka Zipora
Les éditions du passage, 2006, 176 p.