Journaux de rue : Info et société
Société

Journaux de rue : Info et société

Réunis à Montréal du 8 au 10 juin, une centaine de représentants de journaux de rue cherchent comment augmenter leur capacité à interpeller gouvernements et médias de masse pour mieux lutter contre la pauvreté et l’exclusion. Résumé des enjeux en compagnie de Serge Lareault, éditeur de L’Itinéraire.

Généralement créés par des groupes d’aide pour favoriser l’intégration des plus démunis, les journaux de rue jouent un rôle social important et ils apprécieraient grandement d’élargir leur zone d’influence politique. Le premier du genre à voir le jour a été le Street News de New York, en 1989. De l’autre côté de l’Atlantique, l’hebdomadaire The Big Issue est né à Londres en 1991. Il rallie aujourd’hui un million de lecteurs, se classe au 3e rang des préférences des 18-24 ans, compte quatre éditions en Grande-Bretagne et trois à l’étranger, et il réalise un chiffre d’affaires de plus de 20 M $ US. Un succès enviable qui s’avère cependant un cas exceptionnel. Sur quelque 300 journaux de rue recensés autour de la planète, plusieurs ont du mal à boucler leur budget. Pionnier au Canada, L’Itinéraire figure au nombre des plus vigoureux et des plus florissants. Un an à peine après sa création, en 1994, il contribuait à la fondation de la North American Street Newspapers Association (NASNA), établie à Chicago, et devenait presque aussitôt membre de l’International Network of Street Papers (INSP), basé en Écosse.

"L’Itinéraire a invité l’INSP à faire sa 11e conférence à Montréal parce qu’il est membre des deux associations et qu’on a évoqué l’an dernier l’idée d’une fusion, commente Serge Lareault. Le Québec facilitait la présence de membres de la NASNA. Il y a plusieurs avantages à s’organiser en réseau international fort: favoriser des échanges d’informations et de stratégies, apprendre de l’expertise des autres et créer une force de revendication des droits. Avec 30 millions de copies vendues chaque année dans le monde, on a un bassin potentiel d’environ 50 millions de lecteurs pour médiatiser des éléments à l’international."

Comme le suggère le titre de la conférence, Journaux de rue: pour un changement social, local et global, les artisans de ces médias communautaires espèrent pouvoir provoquer des transformations notables en diffusant à grande échelle des informations sur les inégalités et autres injustices sociales. Et si tous les journaux du réseau peuvent s’alimenter en articles à reproduire sur la plateforme Internet Street News Service, la médiatisation internationale semble pour l’instant favoriser les mouvements de solidarité citoyenne plutôt que les décisions politiques.

Par exemple, si on a facilement pu trouver des fonds pour une ligue internationale de soccer de rue, tous les articles publiés depuis deux ans pour dénoncer l’assassinat de sans-abri par la police de Rio et toutes les lettres de lecteurs au gouvernement brésilien n’ont pas suffi à déclencher l’ouverture d’une enquête. Même chose pour les centaines de sans-abri russes abandonnés par la police en pleine forêt par – 18 ºC. Dans une entrevue publiée par l’UNESCO, Mel Young, président de l’INSP et directeur de l’édition écossaise du Big Issue, déclarait: "Face à des réalités aussi effroyables, nos petites divisions paraissent ridicules. Nous devons renforcer nos actions communes pour dénoncer les abus et constituer un observatoire mondial des droits des sans-abri." C’était en 1999 et le pouvoir des journaux de rue ne semble guère s’être affirmé depuis. C’est pourquoi la conférence de Montréal a également comme objectif de sensibiliser les journalistes des médias de masse à leur responsabilité de diffuser une information qui serve la justice sociale.

Invoquant les dérives de la marchandisation de l’information et la tendance à l’uniformisation du discours dans les médias, Serge Lareault déplore le manque de profondeur des articles traitant des problèmes sociaux et l’absence d’exemples étrangers pour inspirer la recherche de solutions. "Prenons l’exemple de l’augmentation des frais de scolarité, propose le journaliste diplômé de l’UQAM. Le discours des médias est que ça reste moins cher au Québec qu’aux États-Unis. Moi, je suis tanné d’entendre ça parce qu’il y a aussi plein de pays où l’éducation est bonne et où elle ne coûte presque rien! Et ça, ça ne concerne pas que les démunis, ça concerne toute la société: on sur-endette des jeunes parce que les médias ne véhiculent que le discours du gouvernement. Dans ce contexte, il faut que quelqu’un apporte une information différente."

Naturellement positionnés comme des médias alternatifs, les journaux de rue veulent continuer de contribuer à la diversité de l’information en renforçant leur pouvoir de diffusion. Mais la tâche n’est pas aisée face aux médias de masse et au rouleau compresseur des a priori qu’ils renforcent parfois. Ainsi, Serge Lareault souligne que malgré la baisse du taux de criminalité dans la population noire nord-américaine, le nombre d’informations sur les actes criminels commis par des Noirs a quintuplé dans les médias états-uniens, créant ainsi une image contraire à la réalité dans l’opinion publique. Idem pour l’intérêt des médias français à fréquenter les banlieues qu’en cas de drame. Et même s’il déclare qu’au Québec "ce n’est pas le Pérou", Serge Lareault reconnaît que nos journalistes font preuve d’une plus grande rigueur intellectuelle qu’il y a 20 ans et que l’image de la pauvreté qu’ils véhiculent est moins stéréotypée qu’avant.

"L’appel que nous lançons aux médias ne s’adresse pas seulement aux journalistes, précise-t-il. Les éditeurs et les grandes entreprises de presse doivent aussi emboîter le pas. Mais eux, ils sont inatteignables. On les a invités, mais ils ne sont pas venus! Cela dit, la rencontre publique va être largement médiatisée et j’ai hâte de voir si les journalistes vont se sentir concernés." Animée par Anne-Marie Dussault et comptant parmi ses panélistes Alain Gravel, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, cette rencontre analysera, entre autres, le rôle des médias et des institutions dans la représentation de la pauvreté. Et bien qu’il ne se fasse aucune illusion sur la portée immédiate de l’événement, Serge Lareault continue de croire aux effets à long terme d’une action soutenue, rappelant que L’Itinéraire a été le premier à parler des problèmes de l’ecstasy et du suicide chez les jeunes homosexuels, et que certains de ses articles ont conduit des journalistes à revoir leur discours.

Animatrice: Anne-Marie Dussault, journaliste

Panélistes: Shirley Roy, directrice du Collectif de recherche sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion, UQAM; Mel Young, président de l’INSP; Alain Gravel, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec; et Walter Moser, directeur de la Chaire de recherche au Canada en transferts littéraires et culturels à l’Université d’Ottawa

Rencontre publique à l’UQAM: "L’image de la pauvreté ou la pauvreté en images?"
Jeudi 8 juin à 19 h
Local J-M400, Studio-théâtre Alfred-Laliberté, pavillon Judith-Jasmin
Entrée libre