Zachary Richard : Au gré des vents
Société

Zachary Richard : Au gré des vents

Dans le creuset francophile de La Nouvelle-Orléans et de la Louisiane, la dernière saison des ouragans a violemment affecté la culture et menacé la langue. Avec quelques amis et peu de moyens, Zachary Richard s’y crève concrètement le cul depuis huit mois!

Le vent de changement qui souffle encore sur la carrière interrompue de Zachary Richard est remonté des tréfonds de l’océan Atlantique pour s’abattre violemment sur les cotes de la Louisiane et de La Nouvelle-Orléans. Incapable de contempler une dévastation qui affectait ses proches et menaçait un peu plus la culture francophone du Sud, Richard a mis les échéances de son prochain album entre parenthèses et s’est engagé sur deux fronts, contre autant d’ouragans.

"Comme on le sait, le fait francophone était déjà passablement fragile ici. Et là-dessus, il ne faut rien attendre des gouvernements… J’ai appris que les professeurs ne se départent jamais d’un certain matériel pour enseigner. Ils ont perdu tout ça après le passage des ouragans. Outre de les reloger, nous avons tenté de leur redonner les outils permettant la préservation de l’enseignement du français dans le Sud-Ouest rural de la Louisiane, où des écoles sont à reconstruire: cahiers, manuels, tableaux, de quoi écrire… des choses simples qui sont disparues. Beaucoup ont tout perdu. Ici, on fait dans le microcosme. C’est une affaire de paroisses… Les petites écoles dévastées, on a recueilli dans les 75 000 $ pour ça", dit le sympathique Cajun qui va articuler durant 30 minutes non-stop une avalanche de commentaires historiques et sociaux fascinants sur la culture et la situation des francophones de la Louisiane avant et après Katrina.

Parler de musique à l’aube de son grand concert-bénéfice de Montréal? Ce ne sera alors que pour évoquer la seconde partie de son action consacrée aux musiciens de La Nouvelle-Orléans toutes catégories, et même aux techniciens… "Là aussi, les besoins sont criants à la suite de la perte d’emplois. On a mis en place des événements, soutenu des concerts, surtout pour les temps difficiles comme juin, juillet et août qui sont traditionnellement les mois creux suivant le Festival de jazz de New Orleans. Francis Cabrel donne un coup de main… les Neville Brothers… des gens anonymes d’ici…" Et il ajoute, presque pessimiste: "Faut pas oublier qu’il semble que finalement 50 % de la population ne reviendra jamais. Ça va créer un vide culturel et économique permanent pour tout le monde: les vieux jazzmen, le zydeco, le blues… les Blancs, les Noirs… partout! Alors, entre-temps, on a aussi créé un programme sans discrimination de style où les musiciens vont visiter les écoles. Ils font et racontent là ce qu’ils veulent aux enfants. C’est une belle immersion et une façon de leur permettre de mettre quelques dollars de côté, le temps que les infrastructures – salles de spectacles, clubs, etc. – se reconstruisent."

On l’imagine, devenir la tête visible d’une entreprise caritative ne fut pas la chose la plus simple pour cet artiste dont la pudeur naturelle et la discrétion professionnelle sont légendaires.

"Oui, ben… euh, peut-être… mais financièrement, il y a quelques années, j’avais été très touché par l’ouragan Debbie. J’avoue que depuis quelques mois, mon album a souffert de mon engagement. J’ai mis ma vie en attente pour six mois. Mais c’est pas si important. Il y a des centaines de milliers de gens qui, eux, n’attendent plus rien! Moi, je reconnais simplement le fait que j’habite quelque part, dans un coin de pays que j’adore. Et quand on aime quelque chose, on ne réfléchit pas."

Un coin de pays qui, comme son engagement envers les musiciens de La Nouvelle-Orléans, ne se réduit pas à la langue. Richard, qui a lui-même commis quatre excellents albums en anglais, peu connus ici, ne s’est pas strictement lancé dans une entreprise de préservation de la langue, mais bien d’un héritage métissé dans lequel la conscience du fait francophone a par ailleurs déjà connu ses hauts et ses bas:

"Moi-même, j’ai repris conscience de mes racines lors du Congrès mondial des Acadiens de 98. Mais il ne faut pas se leurrer, coupe-t-il court: ici, contrairement à l’époque de mes grands-parents, la langue française n’est même plus la langue de la majorité des Cajuns. Après la Deuxième Guerre mondiale, on n’a reçu aucun encouragement de nulle part pour la parler. On a été propulsé dans une volonté de réussite en anglais. Le français était considéré comme une langue de pauvres miséreux… Et moi je suis un chanteur, un compositeur, un interprète… pas un militant comme tel. N’oublions pas que ce sont les Français qui m’ont proposé de réenregistrer en français ce qui avait fait mon récent succès… Quoique je m’en réjouisse, ma volonté de m’exprimer transcende la langue. Ça aurait aussi pu être en chinois! Je n’ai aucun conflit identitaire sectaire. Même si je soutiens le fait français en Louisiane, je travaille encore sur un album en anglais. Le français est certes la langue de la résistance, il faut le préserver, mais je ne rejetterais pas pour autant la moitié de ma culture américaine."

Plus précisément, Zachary Richard poursuit en évoquant ce qui, à ses yeux, dans cette tragédie, a temporairement nivelé certaines des spécificités ethniques de l’Amérique: "Vous savez, la catastrophe, tout ça, c’est encore plus étonnant qu’on le pense. Ça a touché la Floride et le Texas aussi… Et là aussi, les gens sont altruistement venus en aide aux amis, à la famille… mais aussi à de purs étrangers. Moi, les raisons de mon engagement – la fierté de mon héritage, mais aussi particulièrement la situation financière des musiciens de tout genre -, c’est plus facile, plus évident."

Cet été, Zachary, considérant que les bases de ce qu’il a tenté de semer semblent pouvoir se suffire à elles-mêmes, reprend graduellement à son compte un peu du temps donné. Quoiqu’il héberge encore chez lui à Lafayette ses propres amis musiciens, il passera par Paris et Montréal afin d’enregistrer ce qu’il lui reste à faire pour le prochain album interrompu, mais aussi pour quelques spectacles dont les fonds iront encore à ses causes: "Oui, je traîne mon réfugié avec moi! dit-il en rigolant. En spectacle maintenant, entre quelques nouveautés et des classiques, on ne peut pas se retenir de faire un clin d’oeil à La Nouvelle-Orléans. Les Québécois ont été généreux avec nous…"

Aux States, la saison des ouragans 2006 débutait officiellement il y a neuf jours. Et sur les côtes, de la Caroline à la Floride, en passant par la Louisiane, nombreux sont ceux qui se demandent si, cette fois-ci…

"Ah! Je ne veux même pas y réfléchir, dit-il en chuchotant, je ne sais même pas si j’ose me poser la question… Y’a des ouragans tous les ans ici, on vit avec… Franchement, je crois qu’il est peu probable que j’assiste encore de mon vivant à une dévastation de cette envergure… Mais oui, ça va encore frapper quelque part… Ah, s’il fallait… Mon Dieu! Croisons les doigts!"

Le 14 juin
Au Théatre Maisonneuve