Dieudonné : Jouer avec le feu
Société

Dieudonné : Jouer avec le feu

Dieudonné ne parle plus guère de son métier, si ce n’est pour y revendiquer la liberté d’expression. Le petit incendie qu’il a allumé avec 10 minutes de sketch, alimenté par ses propos subséquents, ne cesse de brûler et de reléguer le reste au second plan.

Sur Internet où s’affrontent violemment les pour et les contre, 20 minutes avant cet entretien, l’actualité le rattrapait encore: en Suisse, deux de ses spectacles étaient annulés sous l’effet de pressions politiques, tandis que l’humoriste acceptait une brûlante invitation officielle du gouvernement iranien. Et c’est sans oublier ce sondage qui le donnait deuxième derrière Jean-Marie Le Pen, à égalité avec Nicolas Sarkozy, pour la prochaine présidentielle française.

Au nom de toutes les libertés de parole, Dieudonné se pose-t-il en victime ou en bourreau? Provocateur parce que provoqué ou l’inverse? Entretien non censuré depuis Montréal.

Il y a 15 minutes, on annonçait qu’un de vos spectacles était annulé par le promoteur en Suisse. Ce n’est pas le premier…

"Ça se passe toujours sous la pression d’un petit groupe de gens très riches et qui ont une forte capacité de mobilisation."

Complot?

"Non. Ce n’est pas un complot obscur ou mystérieux. C’est très bien organisé. Il s’agit de la Fédération sioniste de France, présidée par Alex Moise, qui s’est donné pour mission, selon ses propres termes, de m’éradiquer du paysage audiovisuel en France. Ils font pression sur les producteurs, les mairies…"

Quoi qu’on en pense, ça a dû changer votre vie, ces pressions…

"Je vis avec cette donne. Je suis face à une injustice. Mais ce sentiment d’injustice est un moteur de création…"

C’est donc toujours ce truc sur les juifs qui…

"Attention! C’est pas les juifs. Les juifs, ou la très grande majorité de la population israélienne, n’ont rien à voir. C’était un sketch sur un colon israélien extrémiste… Je critiquais la politique de colonisation d’invasion du gouvernement israélien."

Est-ce que vous pensez que ceux qui l’ont critiqué ont vu votre sketch?

"Non. Précisons: quand cette affaire de fous a débuté, j’ai cru que j’avais heurté des gens. Je me suis excusé, même si je croyais qu’il y avait injustice ou malentendu envers moi. Mais il y a eu ensuite une telle levée de boucliers, provoquée par des gens extrêmement racistes qui prônent l’éradication de tous les Palestiniens. Ce sont des gens d’extrême droite qui veulent faire taire la liberté d’expression."

Entre-temps, vous avez affirmé que les juifs avaient été des négriers…

"C’est documenté. Oui, quelques-uns ont favorisé la traite des Noirs et fait commerce de leur transport."

Vous avez toutefois été condamné par la justice…

"Non, non, non, je n’ai jamais été condamné. Y’a eu 22 procès et je les ai tous gagnés."

Mais la même partie civile ne peut vous poursuivre 22 fois?

"Ils ont utilisé des sociétés et associations écrans, constituées chaque fois pour la circonstance, mais ce sont les mêmes, sous des appellations ronflantes d’organisations antiracistes…"

VOYAGE VOYAGE

Vous n’avez pas l’impression d’entretenir la controverse en acceptant d’aller socialiser avec un régime qui est pratiquement une dictature? L’Iran prône tout de même l’éradication d’Israël…

"Je ne fais plus confiance à ce que les médias racontent. Je veux voir de mes propres yeux. Je ne soutiens pas de logique religieuse, mais pour moi, c’est moins grave d’aller en Iran que d’aller visiter Israël, un pays dirigé par des extrémistes et des gens dangereux qui pointent 52 têtes nucléaires sur des bergeries et des gens qui ne sont pas armés. Je crois que l’Iran a une position légitime."

Une position qui a placé ce pays au ban des nations…

"Ah oui, mais faut voir par qui…"

Eh bien, par l’ensemble de la communauté internationale à quelques exceptions près…

"Je ne vois pas pourquoi l’Iran n’aurait pas l’arme nucléaire au même titre qu’Israël…"

Euh, parce que ses dirigeants sont des intégristes fanatiques qui pourraient avoir une réelle envie de s’en servir? Leur président répète qu’il faut éradiquer Israël…

"Il pense qu’il ne peut y avoir qu’un seul État. Moi aussi. Israël est un État raciste qui a soutenu l’apartheid en Afrique du Sud. Il faut que cette différence ethnique entre Juifs et Arabes se fonde dans une démocratie républicaine."

Mais ils ne vous ont pas invité, VOUS, pour rien. En allant là, vous allez cautionner un discours qu’on vous accuse de tenir, à tort ou à raison.

"Je ne crois pas. Les Iraniens ne m’ont rien fait. Si on m’invitait en Israël, j’irais aussi."

Vous allez leur faire le sketch du colon juif à Téhéran?

"S’ils le demandent. Mais je pourrais aussi leur faire le sketch des intégristes musulmans qui font le briefing du 11 septembre et qui promettent 100 vierges à tous les kamikazes… c’est aussi marrant. Je ne m’attaque pas au peuple israélien. Le seul tabou, ce sont les colons israéliens, le seul sujet sur lequel on ne peut pas rire? Je suis partisan de la liberté d’expression, alors pourquoi, moi, on m’interdit de travailler dans mon pays, alors qu’au nom de la liberté d’expression, on a accepté de publier et de tolérer la diffusion des caricatures de Mahomet?"

Vous ne craignez pas d’être instrumenté politiquement au-delà de vos intentions?

"J’ai pas les réseaux pour me battre contre ce lobby qui me fait la guerre. Dans cette guerre ouverte, faut trouver ses alliés…"

On a les amis qu’on peut. Le débat se polarise gravement autour de votre personne. Vous ne craignez pas de rallier involontairement les pires extrémistes?

"Oui, c’est un danger, mais j’espère qu’ils sauront faire la différence. Je ne suis pas un raciste."

MONSIEUR LE PRÉSIDENT

Vous voulez être candidat aux prochaines présidentielles françaises. C’est une provocation ou vous avez réellement un projet et un programme?

"Je me présente aux présidentielles en défendant la francophonie. L’unité culturelle de l’Europe n’existe à peu près pas. La France, qui est en train de s’effondrer, devrait chercher son salut et sa grandeur dans l’unité de toute la francophonie."

En deux mots, vous vous positionneriez où?

"À gauche, où il n’y a plus grand monde. Dans un sondage Skyrock, s’il y avait des élections demain, Le Pen gagnait avec 24 % et j’arrivais deuxième, près de Sarkozy."

Effectivement, ça va mal en France… Mais avec Le Pen, vous auriez peut-être moins de difficulté à cohabiter qu’on pense… entre antisémites: un antisémite de gauche et un antisémite de droite…(rires)

"Les mêmes gens nous cracheraient à la gueule (rires). Je deviendrai pédophile, drogué, criminel. Je mangerai les enfants comme tout bon Noir… Sans blague, ça pourrait pas être plus mal… Certains des candidats actuels sont de véritables Martiens inconscients de ce que c’est la France, complètement déconnectés de la réalité."

Vous parlez de tout ça dans Dépôt de bilan, votre nouveau spectacle, ou vous avez mis la pédale douce?

"Le contexte était là, impossible de ne pas en parler, c’est une riche source d’inspiration. Je me suis tout de même retrouvé malgré moi au centre du débat politique de mon pays pour un sketch…"

Du 26 juin au premier juillet,
Au Théâtre du Nouveau Monde
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