Société

Ennemi public #1 : Tout est bien

Notez que pour les prochaines semaines, cette chronique prend la tangente de l’été. Tantôt vagabonde, tantôt consacrée à des portraits, selon l’envie, elle s’éloignera autant que possible de l’actualité. À moins que cette dernière ne la rattrape.

Les enfants ont enfin quitté l’école. Ils étaient toute une bande d’ados dans mon quartier l’autre soir qui partaient fêter la fin des classes et le début de l’été; cela m’a rendu vaguement mélancolique. Pas le genre de nostalgie stérile et paralysante qui vous fait haïr le présent, mais plutôt celle qui vous fait sourire et échapper un soupir: check donc comme sont beaux les p’tits cons.

Vous souvenez-vous de vos étés d’adolescence? La langueur des journées monotones dans l’abrutissante chaleur caniculaire, la bière froide dans la nuit lourde et humide, le goût de chlore des baisers échangés dans une piscine publique, en pleine nuit, excités à la fois par le désir et la crainte de se faire prendre par les flics?

Une liberté et du temps perdu dont on ne soupçonne pas, à ce moment-là, l’inestimable valeur. Ce qui fait de nous des p’tits cons.

J’étais toujours imbibé de cet agréable flux de souvenirs induit par le spectacle des étudiants en goguette quand j’ai rencontré Guillaume Fortier, un participant à la course Müvmedia (www.muvmedia.com). Est-ce pour cela qu’il m’a tout de suite plu, que m’a immédiatement séduit ce projet qui consiste, avec cinq autres participants (un total de quatre gars et deux filles, âgés de 23 à 28 ans), à parcourir le Québec pendant dix semaines pour produire dix documents sur le Web: texte, audio, photo et vidéo?

À 28 ans, Guillaume est le plus vieux de sa gang. Presque mon âge. Nous avons fréquenté la même école primaire, et un collège de même acabit. Mais disons que le bonhomme m’a plu, surtout, parce que j’aime sa posture. Une posture comme un angle de caméra, une décision éditoriale, le choix de ne pas nécessairement exposer le drame ou le malheur ou la bêtise et d’en faire un postulat anti-je-ne-sais-quoi.

Là où, moi, j’aurais cherché les bibittes pour les écraser à la gueule du monde, lui a pris le pari d’exposer l’autre versant des choses. Pas pour dire: youpelou-haï-haï, c’est donc beau la vie. Juste pour rappeler que les vraies questions n’appellent pas nécessairement des réponses sordides et des cataclysmes humains.

Dans son film de présentation, qui lui a valu d’être choisi parmi les dizaines de postulants à cette course autour du Québec, Guillaume était pourtant énigmatique, même plutôt sombre. Presque à l’inverse de ses films actuels.

Et son histoire demeure assez mystérieuse. Pourquoi fait-il des films? À cause d’un accident, laisse-t-il tomber assez laconiquement. Ingénieur de formation, parti travailler en Bolivie, il sera victime d’un crash d’autobus où, contrairement à la plupart des autres passagers, il aura au moins la vie sauve.

– Un face-à-face avec la mort qui a changé l’ordre des priorités, aussi banal que ça?

– Ben oui, avoue-t-il alors que nous descendons quelques bières, assis en terrasse. Au cégep, j’avais participé à une expo de photos, et j’avais vraiment aimé l’expérience, c’était la première fois de ma vie que je me sentais vraiment valorisé pour quelque chose que j’avais fait, mais je ne me voyais pas dire à mes parents que j’allais étudier la photo… J’ai atterri en génie forestier. Après l’accident, je n’ai pas vécu de gros traumatisme psychologique, mais ça ne m’intéressait plus du tout de faire ça. Je me suis inscrit à un cours en cinéma et télévision, je voulais faire du montage, mais après l’entrevue, les gens là-bas m’ont conseillé de me consacrer à la réalisation. J’en ai bouffé. J’y ai consacré beaucoup de temps, j’ai trouvé des contrats corporatifs qui me permettent de vivre un peu. Et là, il y a le concours, tout l’été.

En fait, je pense que si j’ai aimé ce gars-là, c’est parce qu’il m’a semblé franchement heureux, satisfait d’être ici, maintenant, mais sans le dire, juste dans sa façon d’être, de déplacer l’air, dans le débit de ses paroles. Et j’en suis presque jaloux: imaginez, son été se composera de tournages, d’aventures, de voyages, et il n’a presque rien planifié, à part ses destinations. Ce gars-là est tellement dans l’instant que c’en est épeurant. Pareil comme les ados que j’observais la veille, mais avec, en plus, cette conscience aiguë de la chance qu’il a.

Nous sommes là, 3e Avenue dans Limoilou, un de ses amis vient de faire son apparition, sa blonde s’en vient, un gars venu lui serrer la main fait tomber de la bière sur mes clefs d’auto. Il s’excuse abondamment, comme s’il venait de me piquer ma blonde.

Un ange passe. Suit une Harley qui pétarade.

Je me rends compte que ce qui m’a séduit chez Guillaume, c’est cette assurance qu’ont ceux qui font ce qu’ils aiment.

Et je suis soudain particulièrement heureux d’être là, de me rendre compte à cet instant que je fais aussi ce que j’aime: je raconte, je peste, j’écris. Cela absorbe les petits poisons de la vie. L’entrevue est terminée, nous parlons de tout et de rien, de son prochain film qu’il tournera le soir même, pendant le party de la Saint-Jean. Dans quelques minutes, je retourne à la maison, ma famille m’attend. Tout est bien.

ooo

Vous avez beaucoup ri cette blague sur le mouvement des seins pendant le jogging que je racontais ici il y a quelques semaines. Au lieu d’en être fier, je regrette un peu. Surtout quand je constate que le sein est en voie d’atteindre le summum du mauvais goût publicitaire, si ce n’est déjà fait. En route pour le lac Saint-Joseph dimanche dernier, ce panneau gigantesque aux abords de la 40 montrant une pitoune en bikini sur laquelle on a plaqué une carte routière, la flèche de la sortie pointant vers un teton. Le slogan: juste du vrai.

Le rapport avec ce commerce – Bourque Marine pour ne pas le nommer – qui vend des bateaux? Je cherche encore. À moins que leur publicitaire, en manque d’idée, y ait vu une bouée de sauvetage?

Quelques minutes plus tard, je passe devant l’ancien bar Satellite, à la limite de Sainte-Catherine et Fossambault. On l’a renommé le Double D.

Avant, il y avait un miniputt derrière le bar. Faut croire qu’on l’a remplacé par une allée de bowling.