La 4e Guerre mondiale aura-t-elle lieu?
Société

La 4e Guerre mondiale aura-t-elle lieu?

La 4e Guerre mondiale, qui a déjà fait deux millions de morts, bat son plein, affirme le politologue et journaliste d’enquête Thierry Wolton dans son dernier livre. Une radioscopie très sombre et fort inquiétante de l’état géopolitique du monde.

Sommes-nous en plein dans la 4e Guerre mondiale?

"Oui. La 4e Guerre mondiale a débuté en 1979, année de l’arrivée au pouvoir en Iran de l’ayatollah Khomeiny. À l’origine, ce conflit était une guerre à l’intérieur de l’islam, entre les musulmans chiites, très minoritaires – ils représentent à peu près 17 % de l’ensemble des musulmans – et les sunnites, fortement majoritaires. La prise du pouvoir des chiites en Iran a provoqué une espèce d’"émulation islamique" chez les sunnites. Ces derniers ne voulaient pas laisser le monopole de la contestation, de la radicalisation et du fondamentalisme aux seuls chiites. Ainsi, les sunnites se sont mis à leur tour à faire de la surenchère idéologique et religieuse. Cette guerre, presque civile, au sein de l’islam débouchera 20 ans plus tard sur une guerre menée par les islamistes contre l’ensemble de l’Occident."

Donc, c’est un conflit qui sera bien long?

"Ce sera une guerre longue et très difficile à éradiquer. Pour la première fois dans l’histoire d’un conflit armé, il n’y a pas de généraux en chef, ni d’états-majors, ni de chefs d’État… Cette guerre ne finira vraiment que lorsqu’il y aura une démocratisation du monde islamique et la naissance d’un islam des Lumières, qui, en introduisant une séparation entre l’"Église" et l’État, permettra aux peuples musulmans de goûter enfin à la démocratie. La liberté dans le monde arabo-musulman ne correspondra pas forcément au modèle occidental. Mais nous ne sommes pas encore rendus là."

La crise iranienne chambarde-t-elle les géopolitiques du Moyen-Orient et du monde?

"À l’époque du schah, l’Iran avait déjà la volonté de devenir une puissance nucléaire. De par sa position géographique centrale au Moyen-Orient et son poids dans la région, l’Iran a toujours eu une vocation de gendarme du Moyen-Orient. Il est clair qu’aujourd’hui, le pouvoir iranien veut exercer aussi une influence hégémonique sur les pays limitrophes. L’acquisition par le régime de Téhéran de l’arme nucléaire exacerbera sans doute l’antagonisme qui existe depuis des lustres entre les chiites et les sunnites. Si l’Iran se dote de la bombe atomique – je suis absolument convaincu que les Iraniens finiront par la posséder, à moins que les Américains ou les Israéliens n’attaquent militairement ce pays, scénario peu plausible pour le moment -, son président, Mahmoud Ahmadinejad, consolidera l’hégémonie des chiites dans la région, au grand dam des sunnites. Il est évident que l’arme nucléaire entre les mains du type de gouvernement théocratique qui régente l’Iran vise avant toute chose à garantir le pouvoir, mais aussi à menacer ses adversaires, Israël en premier."

Le théâtre de cette 4e Guerre mondiale n’est-il pas l’Irak?

"Tout à fait. Dans la guerre que les islamistes mènent aujourd’hui contre l’Occident – je dis qu’"ils mènent" parce que ce sont eux qui ont déclenché les hostilités et porté les premiers coups -, il fallait trouver un terrain d’affrontement face à un adversaire protéiforme, qui est à la fois loin et proche de nous. Un ennemi qui est à la fois en Afghanistan, dans les pays arabes, dans les banlieues des villes occidentales, où des cellules éclatées, très autonomes, sommeillent en attendant le moment propice pour passer à l’action… En allant porter la guerre en Irak, les Américains ont choisi le terrain d’affrontement. Depuis deux ans et demi, date du début de ce conflit, en dépit des attentats meurtriers commis à Madrid et à Londres, la pression du terrorisme éclaté islamiste sur l’Occident s’est atténuée. Simplement parce que tous les terroristes vont en Irak pour affronter l’armée américaine."

D’après vous, quelle sera l’issue de la guerre qui embrase actuellement l’Irak?

"Si jamais les Américains, et les Britanniques aussi, décidaient de partir la queue entre les jambes pour des raisons qui, à mon avis, n’auraient rien à voir avec la situation sur le terrain, mais à cause des critiques de plus en plus nombreuses formulées par l’opinion publique américaine – 2300 soldats américains ont déjà été tués et l’échéance présidentielle de 2008 approche à grands pas -, laissant le pays dans un chaos total, tel qu’il est encore actuellement, ce serait interprété par l’ensemble du monde islamique comme une défaite cuisante pour l’Occident. Géostratégiquement, la situation en Irak est capitale."

D’après vous, après un combat fougueux contre les islamistes, le conflit qui point à l’horizon opposera les États-Unis et la Chine. Pourtant, on a l’impression que Washington et Pékin ont scellé des alliances politiques et commerciales assez coriaces.

"En 2006, face au terrorisme, les États-Unis veulent constituer un front commun en tissant des alliances avec la Chine, la Russie et d’autres pays. Des nations qui n’ont pas du tout les mêmes valeurs, ni les mêmes intentions, que les Américains. Mais la bonne entente qui existe entre Washington et Pékin n’est qu’une entente de façade. Je me demande si, au nom de la lutte contre le terrorisme, les États-Unis ne sont pas en train de favoriser la percée de la puissance chinoise, qui sera, sans aucun doute, leur futur grand adversaire. Je ne dis pas forcément que tout ça conduira à une guerre. Mais les Chinois commencent à contester de plus en plus la superpuissance américaine. Or, que fait entre-temps l’Amérique? Elle injecte, avec un certain laxisme, des milliards de dollars dans l’économie chinoise, temporise dans le dossier de Taiwan, ferme les yeux sur la violation des droits humains par le gouvernement de Pékin… L’incohérence à son zénith!"

La 4e Guerre mondiale. 50 questions
De Thierry Wolton
Éditions Grasset, 2006, 268 p.