Pop Culture : Proximité fâcheuse
Quelques coups sont frappés dans la pénombre des coulisses, résonnant dans la salle. Puis, les rideaux s’ouvrent sur la saison du théâtre d’été. Avec cette amorce, je lance une série de chroniques, dont vous avez la première sous les yeux, qui s’intéresseront au phénomène théâtral de la région.
Lorsque nous avons décidé de permettre un regard critique à votre hebdomadaire culturel, les attentes étaient très élevées, en particulier de la part des artisans du milieu culturel. On m’a alors demandé si je ne craignais pas de représailles de la part des artistes qui pourraient se vexer de l’un de mes coups de gueule. C’était avant qu’on ne connaisse mes morsures feutrées…
Il me fait toujours plaisir de prendre un café avec un comédien ou un artiste. J’aime que mes entrevues se perdent un peu, quittent le chemin prévu, ce plan organisé chaque fois pour rien, au gré d’une passion qui se consume à grand feu et en tout instant… En fait, je peux bien vivre sans le sourire de quelqu’un qui s’offusque d’un rien. Malgré tout le respect que je voue à la gente artistique, aux individus comme aux institutions, oui, bien sûr, je peux bien vivre sans le sourire de quelqu’un qui s’offusque d’un rien – si toutefois cela survient.
En fait, cette proximité dont on m’avait prévenu – attention, p’tit gars! -, celle-là même qui devait m’empêcher de porter un regard critique objectif sur les oeuvres qui nous sont présentées, semble être un problème bien plus vif pour les artistes eux-mêmes qu’il ne l’est pour moi. Et s’il est un milieu qui en souffre, c’est probablement celui du théâtre.
Allons, Monsieur Caron! Qu’est-ce que vous racontez? Le théâtre, chez nous, se porte très bien!
Bien, en effet. Du bon travail, en général, une diversité alléchante, des comédiens et des artisans qui n’ont pas à rougir devant les envahisseurs.
Nous connaissons l’histoire de plusieurs, parmi ceux qui foulent les planches de nos théâtres, qui ont tâté le pouls de la métropole et mangé son pain dur, puis sont revenus nous consacrer leur talent. Constat d’échec? Rarement. Il est plutôt judicieux de revenir vivre de leur art ici sans devoir travestir leurs aspirations en figuration ou sans se résigner à servir aux tables en attendant un autre Godot.
Oui, le théâtre se porte plutôt bien. Le talent y est, les institutions aussi, l’énergie et la passion ne manquent pas. Et si rien de ce qui est présenté n’est parfait, il arrive tout de même que nous ayons accès à de véritables perles, qu’elles soient précieuses ou ridicules – car les deux peuvent être appréciées…
Si les gens de théâtre ont été parmi les plus enthousiastes lorsque le Voir a ouvert cette brèche inespérée, voire inattendue, à la critique, ils n’ont toujours pas emboîté le pas. C’est que la question de cette proximité fâcheuse dont nous avons déjà parlé est beaucoup plus vive pour eux… Car les comédiens qui jouent ensemble pour une production se retrouvent souvent en compétition ultérieurement, et vice versa. Alors si une critique un tant soit peu négative n’est jamais facile à assumer, qu’en est-il pour les comédiens lorsqu’ils sentent que leur prochain rôle peut en dépendre?
Au bout du compte, chacun sait, mais personne n’ose. Et ça fait mal. Pardonnez cette métaphore belliqueuse, mais si ceux qui sont au front ne tâtent jamais de la gâchette, il n’y aura pas de dégât, mais l’armée ne fera jamais de gain.
La liberté d’expression est un principe bien abstrait lorsqu’il faut choisir les mots qu’on utilise en fonction de nos aspirations.
Il semble que l’industrie du théâtre – n’en déplaise aux rêveurs qui imaginent l’art indépendant de toute considération monétaire, il s’agit bien d’une industrie – arrive à une époque charnière dans notre coin de pays. Comme pour tous les secteurs de l’économie régionale, des questions doivent être posées, des solutions trouvées… Il faudra se réinventer, innover pour arriver à gagner le coeur du vrai monde, à charmer de nouveaux commanditaires.
Et pour avancer, il n’y a pas trente-six solutions: il faut se remettre en question, susciter des débats. Ce qu’il faudrait, pour y arriver, c’est que les différents acteurs du milieu culturel cherchent à se rencontrer, voire à se confronter. Que des tables rondes soient organisées, que la critique ne soit pas qu’un volcan isolé qu’on regarde rugir de loin. Surtout, que les spectateurs comprennent le pouvoir qu’ils ont sur les événements culturels. Si la critique des journalistes est déjà attendue par les artisans de notre culture régionale, la valeur de vos commentaires en est décuplée. Parce que c’est d’abord et avant tout pour le public que toute l’énergie des gens de théâtre est concentrée.
Dans les prochaines semaines, voyez Entre-deux, à la Salle Pierrette-Gaudreault, Pique-nique en campagne, à la Salle Murdock, mais aussi Le Génie amoureux, à la Salle Azimut de Saint-Félicien, Le Syndrome de Stockholm, au Centre touristique Vauvert, À frais virés, au Site touristique Chute-à-l’Ours, ou toute autre pièce jouée près de chez vous. Et n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires critiques, je les attends déjà avec impatience!