Société

Ennemi public #1 : Comment faire l’amour à un critique sans le fatiguer

L’atmosphère était inhabituellement sereine quand je suis entré dans la salle de presse de l’hôtel Hilton. Au coeur des 10 jours de folie que constitue le Festival d’été de Québec pour les relationnistes de presse et l’équipe de logistique, tous ces gens affichaient un sourire qui n’apparaît habituellement qu’en fin de journée. Quand le bureau est fermé.

Remarquez qu’ils pouvaient bien se détendre. Pas une goutte de pluie jusqu’à maintenant, situation qui, grâce à on ne sait quel vaudou, perdurera pour tous les soirs de spectacles à venir.

Mais la météo demeure secondaire dans l’équation qui fait la réussite d’un festival comme celui-là. Réussite qu’il est nécessaire d’applaudir dans la mesure où elle n’a rien de fortuit. Un succès qui, doit-on le souligner, tient essentiellement d’un revirement de mentalité dans l’organisation où, il y a seulement quelques années, tentant de conserver les finances à flot en ménageant la chèvre et le chou, on essuyait non seulement une baisse d’achalandage, mais aussi le tir groupé des journalistes qui considéraient l’événement prévisible et péniblement vieillissant. On se souviendra d’ailleurs de ce commentaire vitriolique d’un confrère du Soleil-pas-encore-en-format-compact-à-l’époque qui écrivait, à propos de l’invasion des chaises pliantes: "Aujourd’hui chaises pliantes, demain chaises roulantes."

Et vlan, dans les dents. Ou dans le dentier, c’est selon.

Naissait au même moment le Festival Off qui, avec des moyens faméliques, assénait au FEQ un coup de pied au cul parfaitement mérité, et voilà qu’on constatait que l’événement s’en allait à vau-l’eau, et qu’à vouloir faire plaisir à tout le monde sans s’en donner les moyens, on ne plaisait plus à personne.

Aussi, après quelques années de réalignement, le revoilà bien en selle, ce Festival d’été, le budget de sa programmation dûment engraissé, sa philosophie renouvelée, parvenant à combler les mélomanes les plus pointus et une population locale qui se nourrit essentiellement de nostalgie musicale.

Québec, c’est ma ville, Scorpions, c’est mon style. On ne changera pas le monde, que voulez-vous.

Cela dit, de cette édition 2006, je retiendrai surtout des images. Des clichés. Des moments de grâce et de pur bonheur. Ma fille dansant au son de Karkwa et Malajube. Les performances d’artistes de la rue complètement barjes, à la limite de la décence et du bon goût, opérant dans un esprit de subversion absolument jouissif. La voix de Leslie Feist d’une pureté à fendre l’âme. Mon petit frère exultant pendant la performance de Broken Social Scene. La vapeur émanant d’un moshpit spectaculaire pendant la prestation de Reel Big Fish, alors que même la tribune des VIP et de la presse paraissait avoir été prise d’assaut par de turbulents punk-rockeurs. Les ribambelles de petites ados se tenant par la main pour pénétrer la foule compacte pendant le show de Yellowcard. Le couple qui entonnait en choeur – avec moi et quelques autres fanatiques – les paroles des chansons de Wilco, larmoyant de bonheur. Ou était-ce la sueur, en cette soirée caniculaire, qui leur irritait les yeux?

Je me souviendrai, finalement, du préposé à la sécurité le plus civilisé qu’il m’ait été donné de voir, et qui, plutôt que de l’éjecter manu militari, suivait pas à pas un fêtard trop éméché, histoire d’éviter qu’il n’importune les spectateurs pendant l’irréprochable performance de The Roots. Je le salue et le félicite pour sa décence exemplaire.

Vous ai-je dit que j’ai l’impression d’avoir communié avec ce festival, d’avoir fait la paix avec lui, et même, de lui avoir fait l’amour dans la moiteur des nuits de ce mois de juillet? Eh bien, c’est le cas.

Que ses organisateurs se le tiennent cependant pour dit: ne me décevez pas pour votre 40e anniversaire, l’an prochain. D’autant que je préfère nettement baiser avec votre festival que de lui foutre des torgnoles, ce qui est beaucoup plus fatigant pour moi, et pour vous aussi d’ailleurs.

ooo

Encore une image, mais rien à voir avec le Festival d’été, on replonge plutôt dans l’actualité et son horreur.

Cette image, une photo, compte parmi les choses les plus odieuses que j’ai vues depuis le début de l’offensive israélienne au Liban.

C’était dans les journaux mardi matin: des enfants israéliens à qui on a demandé d’écrire des messages sur des obus destinés à l’ennemi.

Remarquez, cela se fait un peu partout dans les pays en conflit, et ça n’a rien de bien nouveau. Mais la bêtise qui pousse à la banalisation de la brutalité chez les enfants me dégoûtera toujours. Qu’il s’agisse d’Africains prépubères que l’on affuble d’une AK-47, d’ados palestiniens endoctrinés qui réclament la mort d’Israël, ou d’enfants qui dessinent en souriant des messages haineux sur des bombes.

Cela n’a rien de nouveau, disais-je, mais permettez que le cynisme ne l’emporte pas pour une fois: ce ne sont pas des fusées en carton-pâte sur lesquelles on fait dessiner ces enfants. C’est pas symbolique.

C’est de l’acier. C’est rempli de feu, de mort, de détresse. Ça tombe sur des gens.

Sur des enfants comme eux, qui n’ont rien à voir avec nos conflits, et qui devraient pouvoir ignorer, ne serait-ce qu’un moment, que ce monde est rempli de douleur, de misère, de peine, de peur, et de cette crisse de folie qui nous étrangle et qu’on appelle la guerre.