Pop Culture : Jouer la pitié
Société

Pop Culture : Jouer la pitié

Je vous ai préparé une surprise – ceux qui suivent mon blogue le savent déjà. Il s’agit d’un article traitant de Cédule 40, un collectif d’artistes régional dont l’oeuvre fait un tabac dans le Bas-du-Fleuve. Voilà de jeunes gens qui ont su innover. Je me surprends encore qu’aucun autre média régional ne s’y soit intéressé… C’est pourtant gros. Gigantesque. Et ça a été conçu ici. Et ça fascine tous les jours un nombre impressionnant de touristes.

Panique en la demeure. Je reviens de vacances, et les nouvelles sont mauvaises. Les touristes ont manqué le bateau, ou alors ils en ont pris un autre. Ou bien ils se sont rendu compte que c’est parfois aussi bien d’être assis sur le bord du quai à le regarder prendre la mer. Bref, la situation ne s’améliore pas. La saison sera mauvaise.

L’un des problèmes, occulté jusqu’ici par les analystes, c’est qu’il ne suffit pas d’innover une fois pour demeurer en première ligne. On ne peut pas simplement reproduire un succès pour qu’il le demeure. Les gens de Québec Issime ont pris un risque, cette année, en jetant les bases d’un nouveau spectacle. Et ils tirent leur épingle du jeu.

Les touristes ont manqué le bateau alors on se replie sur vous. "Les grands spectacles comptent sur vous!" dit-on avec un ton emphatique. Mais voilà, il ne faudrait pas brancher de tels pachydermes culturels sur le respirateur artificiel.

Jouer la pitié est dangereux. Je veux bien qu’on ait une conscience sociale régionale, mais je vous en supplie, si vous allez voir l’un des grands spectacles régionaux, que ce ne soit pas seulement par pitié. Que ce soit parce que vous en avez envie. Autrement, prenez plutôt une enveloppe, glissez-y quelques billets, et envoyez votre don aux producteurs.

Quand on est journaliste culturel, on en voit de toutes les couleurs. De l’artiste populaire hautain qui nous accorde avec grâce 12 minutes de sa vie pour une entrevue, jusqu’au jeune relevant un peu baveux ou arrogant qui ne comprend pas qu’on ne le connaisse pas encore (soupir!). Il y a bien sûr quelques perles, je ne dirai pas le contraire… Des entrevues qu’on se tatoue sur le coeur. Des rencontres qui font de ce travail l’un des plus beaux qui soient.

Malheureusement, trop d’artistes ne se forcent pas pour nous présenter quelque chose de nouveau. Méfiez-vous de celui qui dit que tout a déjà été fait de toute façon: il avoue du même coup être le maître du plagiat le plus lâche. Pas seulement parce qu’il fait-comme, mais parce qu’il fait-comme-parce-que-ça-pogne.

Trop d’artistes ne se forcent pas. Mais pas toujours par paresse. Parfois illusionnés par la pacotille éblouissante du milieu, le regard branché sur leur propre nombril comme s’ils étaient plogués sur le 220, ils oublient de voir qu’autour d’eux certains avancent. En entrevue, souvent, je demande franchement aux artistes de me vendre leur salade, de me dire ce qui les rend particuliers. Quand tout ce qu’on trouve à dire, c’est "Oh, tu sais! Il y a tellement d’énergie qui passe en show!"… Ça part mal. Arrive en ville, bonhomme. S’il y a tant d’énergie, c’est parce que tu as un public qui t’apprécie. Alors on y revient… Pourquoi ces gens aiment ce que tu fais?

Nous savons tous qu’il est impossible de toujours innover. Si vous avez cru que mon discours se situe là, je me suis mal fait comprendre. Rien à voir. L’important, ce n’est pas de toujours réussir, c’est de toujours essayer. De cracher sur le statu quo, de le piétiner, que ce soit un drapeau ennemi. De risquer le déséquilibre. Il faut croire que je suis un enfant du "l’important, c’est de participer!".

Risquer de se planter… Mais courir la chance de faire un pas de plus. Parfois il nous faut un bon coup de pied au derrière pour avancer. Espérons que cette saison touristique qui bat de l’aile donnera l’impulsion nécessaire aux artistes et aux producteurs d’ici pour qu’ils aient à nouveau envie d’innover.