Quartier des Spectacles : La fin du trou noir?
Société

Quartier des Spectacles : La fin du trou noir?

Le Quartier des Spectacles, après cinq ans de lenteur étatique, passe en deuxième vitesse avec l’annonce d’une série de mesures concrètes. Certaines craintes demeurent, mais le projet qui transformera le centre-ville de Montréal semble enfin sur la bonne voie.

Les nombreux touristes attirés par les Outgames au centre-ville n’y ont vu que du feu, mais les Montréalais habitués d’arpenter les rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent ont sans doute remarqué le nouveau système d’éclairage aménagé depuis le 27 juillet devant le Métropolis, le Club Soda, le Monument-National, la Société des arts technologiques [SAT] et le Théâtre du Nouveau Monde, qui profite en plus d’un dispositif d’information lumineux. Installation éphémère conçue par l’artiste montréalais Axel Morgenthaler de Photonic Dreams, ce panneau diffusera des textes, des graphiques et des vidéos faisant la promotion du théâtre et du Quartier des Spectacles (QDS). Ce projet d’éclairage scénographique et architectural, remis entre les mains de la firme suisse Intégral Ruedi Baur et de la firme montréalaise Intégral Jean Beaudoin, découle d’un investissement de 450 000 $ fait par la Ville de Montréal dans le cadre de son futur QDS.

UNE VISION QUI SE CONCRÉTISE

Voilà plus de cinq ans qu’on nous parle de ce fameux quartier, délimité à l’ouest par la rue City Councilors, à l’est par Berri, au sud par René-Lévesque et au nord par Sherbrooke, qui ferait de Montréal la capitale culturelle du Canada, devançant même Toronto. Cinq ans ponctués de nombreux changements de gouvernement, tant fédéraux que provinciaux, qui ont permis au Partenariat du QDS d’accoucher d’une vision globale axée sur la diversité culturelle et l’inclusion des artistes, mais qui ont aussi alimenté le discours des sceptiques, nourri par une évidente stagnation. "C’était normal de mettre autant de temps avant d’arriver avec une vision émanant d’un consensus, explique le directeur général du Partenariat Pierre Deschênes. Il y a tellement de joueurs impliqués dans le projet (promoteurs, multiples propriétaires fonciers tant privés que publics, petits et gros producteurs). Il fallait tenir compte des intérêts de tous, et lorsqu’on parle d’un projet qui transformera complètement un centre-ville, il est normal d’y mettre du temps."

"Il est grand temps de passer à la mise en oeuvre du projet, assure Benoit Labonté, maire de l’arrondissement Ville-Marie et membre du comité exécutif de la Ville de Montréal. Il faut maintenant donner un élan pour renforcer la confiance envers le QDS. Nous appuyons totalement la vision du Partenariat, pas question de la remettre en cause. La Ville doit maintenant tirer les bons leviers pour que tout se concrétise."

La Ville et les différents paliers de gouvernement agissent d’ailleurs en ce sens depuis les trois derniers mois. Il y eut d’abord un projet-pilote d’affichage sur des panneaux érigés au coeur même du QDS. Il y eut ensuite l’annonce de la mise en lumière du quartier, en mai dernier, et la mise en ligne d’un site Internet (www.quartierdesspectacles.com) comprenant un calendrier des événements se déroulant dans les différentes salles du quadrilatère (incluant autant le Café Chaos que le Métropolis).

Autre annonce majeure, Québec dévoilait fin juin les termes d’un futur PPP qui dotera l’OSM d’une nouvelle salle de concert ultramoderne située sur l’esplanade de la Place des Arts, derrière le Théâtre Maisonneuve (construction prévue en 2008). Finalement, il y eut l’expropriation faite par la Ville de l’immeuble situé au 2-22 Sainte-Catherine Est (coin Saint-Laurent), abritant un louche commerce XXX.

"Le QDS compte deux pôles majeurs: le coin de la Place des Arts et le Quartier latin, soutient Pierre Deschênes. Il faut joindre ces deux pôles via la rue Sainte-Catherine. Le carrefour des Mains est ainsi devenu le troisième pôle important.

PRIORITÉ AUX ARTISTES?

Selon Benoit Labonté, les artistes devraient aussi reprendre possession de l’édifice Blumenthal (rue de Bleury), vidé de ses occupants en 2002 pour faire place à la nouvelle salle de l’OSM, finalement érigée sur l’esplanade. Situé au nord du Blumenthal, l’îlot Balmoral utilisé par le Festival International de Jazz et les FrancoFolies devrait aussi faire l’objet d’un réaménagement. Une situation qui inquiète Alain Simard, président de Spectra, du FIJM et des Francos. "Si le FIJM a pu devenir le festival de jazz le plus important au monde, c’est qu’il se retrouve dans un quartier comprenant dix salles de concert et dix terrains vacants pour y installer des scènes extérieures. En construisant la nouvelle salle de l’OSM sur l’esplanade et en réaménageant l’îlot Balmoral, nous perdrons deux sites stratégiques. La Ville se doit d’assurer la pérennité des festivals."

Alain Simard souhaite donc que Montréal inclue une Place des Festivals à son QDS qui compenserait pour l’espace perdu et qui servirait autant au FIJM qu’au Festival Juste pour rire. Pour ce faire, la mairie pourrait une fois de plus faire appel à l’expropriation afin de libérer la bande de terrain située sur le coin sud-ouest de l’intersection Jeanne-Mance / Sainte-Catherine. "Je ne peux rien confirmer, rétorque Benoit Labonté, l’expropriation n’est pas gratuite. La Ville doit dédommager de juste façon les propriétaires fonciers. Avant de passer aux actes, il faut s’assurer que le projet garantit un développement culturel, urbain et économique."

Le tronçon de Sainte-Catherine compris entre les rues Jeanne-Mance et de Bleury devrait subir d’autres transformations avec la construction maintes fois compromise du Complexe Spectrum (voir encadré).

Si un gros joueur comme Spectra veille à ses intérêts dans ce dossier, la Guilde des musiciens, représentée par Sébastien Croteau, aussi de l’Association des petits lieux d’art et de spectacles, veille à ce que le QDS demeure ouvert aux artistes émergents et ne devienne pas uniquement le terrain de jeu des ténors de la culture. "Le QDS doit être un exemple de cohabitation entre les petits et les grands du milieu culturel. Les artistes émergents et les petits lieux de spectacles sont la clé qui permettra au QDS de prétendre à une véritable diversité culturelle. C’est le seul moyen qui nous préserve d’un projet à saveur corporatiste. Avec la hausse de la valeur immobilière qu’occasionnera le QDS, des mesures doivent être prises pour assurer la survie des lieux de culture émergente."

"Ces craintes sont justifiées, rétorque le maire de l’arrondissement Ville-Marie. Les artistes émergents sont les incontournables de demain. La Ville étudie présentement différents moyens de sauvegarder ces espaces, comme des incitatifs fiscaux ou des immeubles réservés."

Tous les intervenants rencontrés pour ce texte s’entendent, affirmant que d’autres annonces importantes seront faites par la Ville au cours des prochains mois. Est-ce que nos succulents repas dégustés au Jack Tooney Deli seraient comptés?

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LA SAGA DU COMPLEXE SPECTRUM

Février 2002

L’Équipe Spectra annonce qu’elle est sur le point de signer une entente avec Daniel Langlois afin de construire le Complexe Spectrum, une immeuble situé sur les lieux du Spectrum actuel, regroupant un tout nouveau Spectrum, une boîte de jazz, des bureaux et quatre salles de cinéma Ex-Centris.

Juin 2002

Alliance Atlantis se joint au projet et projette aussi d’y construire neuf salles de cinéma.

Janvier 2004

Daniel Langlois annonce qu’il se retire du projet. Alliance et Spectra se tournent alors vers Famous Players comme nouveau partenaire.

Septembre 2005

Alliance Atlantis se retire du projet après que Famous Players, acheté au printemps 2004 par Cinéplex, eut fait de même. Cinéplex possède également le Cinéma Quartier latin, et un nouveau complexe cinématographique lui ferait de la compétition.

Août 2006

Alain Simard: "Je crois que le Complexe Spectrum verra le jour et que le Spectrum et ses commerces adjacents seront démolis dans un avenir rapproché. Spectra n’en sera pas le promoteur. Je sais que de sérieux investisseurs privés veulent racheter le terrain et reconstruire un nouveau Spectrum."