Société

Ennemi public #1 : Nullités et grandeurs

Je suis parfaitement nul en pub. Je vous jure, je n’y comprends rien. Un exemple? Ce Festival d’été de Québec dont je vous disais, avant de partir en vacances, que je lui ai tendrement fait l’amour dans l’érotique moiteur des nuits torrides de juillet, guettant fébrilement l’orage comme on sent poindre l’orgasme chez sa partenaire. Viendra, viendra pas? Maintenant? Plus tard? Jamais?

Ce Festival, donc, est commandité par la bière Molson Dry. La scène du Pigeonnier (ou parc de la Francophonie, si vous préférez ce nom atrocement pompeux) en porte la marque, c’est la seule bière qu’on vend sur les sites, y’a des banderoles partout. Ce qui ne m’empêche pas de trouver le sommeil. Faut bien le financer, cet événement, et il semble que cela passe par tout ce bataclan publicitaire, alors ainsi soit-il.

Par ailleurs, il y a des trucs que je ne comprends juste pas. Prenez, seulement sur la Grande Allée, ces trois machins promotionnels dont je me suis dit, le premier soir, que personne ne s’y intéresserait tellement ils sont cons.

Le premier: une petite tente où deux pitounes en suits moulants vous proposent d’apposer sur votre biceps un tatouage non permanent à l’effigie de cette bière. Juste à côté, j’ai pas trop saisi ce que c’était au juste, si ce n’est qu’on projette au sol le même logo. Comme ça, out of nowhere. Et un peu plus loin, entre le Dagobert et Chez Maurice, la pire niaiserie jamais vue: un aquarium géant où une prétendue barmaid et un prétendu client assis à un prétendu comptoir paraissent échanger des banalités en respirant sous l’eau avec l’attirail d’un homme-grenouille, au son d’une musique tristement générique, en buvant une bière, évidemment.

Les publicitaires sont sans doute les êtres les plus méprisants de l’humanité, me suis-je dit en voyant tout cela. Non mais, il y a des limites à prendre les gens pour des imbéciles, quand même. Qui va trouver ça vraiment amusant ou simplement divertissant?

Quelques soirs plus tard, je passe devant les pitounes: une longue, très longue file d’attente pour se faire tatouer. À quelques pas de là, la projection au sol: des enfants s’amusent à sauter sur l’image pendant que leurs parents, les yeux rivés sur le logo, attendent que leurs marmots se tannent de ce petit jeu. Et l’aquarium? Je serai finalement passé devant à quelques reprises pour y constater, chaque fois, la présence d’un imposant attroupement, riant des grimaces des plongeurs, se faisant prendre en photo devant le truc… Ils étaient parfois plus nombreux qu’à certains spectacles sur la place D’Youville et assistaient à ce triste show en montrant un degré de plaisir qui dépasse l’entendement. Le mien en tout cas.

Je vous le disais, je suis complètement nul en pub. Ce constat me désespère d’autant plus qu’avec chaque preuve de mon incompétence vient la constatation de notre nounounerie collective.

Cela dit, comment ceux qui conçoivent ces campagnes, probablement de jeunes gens brillants, sûrement très intelligents, qui consomment de la culture jusqu’à plus soif, comment ces gens peuvent-ils pondre de pareilles imbécilités?

Je tente une réponse: pour se détendre, tiens.

Parce que, bon, vous ne me ferez pas croire que c’est pas un peu reposant, quand t’es publicitaire, d’avoir des idées aussi nulles tout en sachant que ça va marcher.

Parlant de repos, comme je vous le disais plus haut, je reviens de vacances. De retour, donc, la tête pleine d’images que vous ne verrez jamais sur des cartes postales. Le Vermont par la porte de derrière: ses rivières, sa merveilleuse et quasi folklorique décrépitude rurale, ses lacs couchés entre d’homériques pitons rocheux, ses désormais légendaires sentiers de vélo de montagne (à East Burke), ses routes sinueuses au détour desquelles on découvre un autre de ces petits bonheurs que sont les paysages de bout du monde. Paysages qu’on a un peu l’impression d’être seul à apprécier, tellement il n’y a pas un chat dans le secteur.

Le Vermont, donc, du vélo, de la course, et pas mal de lecture. Philip Roth, surtout. La Contrevie, un bel exercice structurel. Professeur de désir, pas mal, mais loin d’être son meilleur. Everyman, son tout dernier, en anglais, que j’ai commencé pour finalement le mettre de côté, lui préférant La Tache, dont on a fait un film que j’avais trouvé tellement nul que je l’avais carrément oublié.

Le roman, par contre, est excellent. Au moment d’écrire ces lignes, j’ai encore les dents plantées dedans, et je risque de m’y éterniser, puisque cela me donne l’impression d’avoir traîné jusqu’au boulot un peu de mes vacances et l’esprit de nonchalance qui les accompagne.

Pourtant, ce dont parle Roth dans ses romans n’a rien d’amusant. Ni de reposant d’ailleurs.

Drames bourgeois ou prolos, ou les deux en même temps, on y plonge au plus profond de la solitude inhérente à l’existence, de nos pires tares, de cette inhumanité qui fait de nous de simples humains. On est dans la tragédie, souvent à la fin d’une vie, ou à l’un de ses carrefours, parfois dans la déchéance du corps, ou de l’esprit. On est dans la douleur, le mensonge – fait aux autres ou à soi-même -, la trahison, le devoir, la famille, l’amour, la haine, le cul, les équivoques, les malentendus, la douleur, le bonheur. La vie, quoi.

C’est ce qu’il y a de bien avec les romans: ils sont un puissant égalisateur qui nous ramène tous autant que nous sommes au même niveau puisque nous sommes tous les personnages d’une histoire que nous ne contrôlons pas nécessairement.

Du coup, en lisant, je me découvre plus d’affinités que je ne l’aurais cru avec le type en file pour se faire tatouer un logo de bière.