Jeux de société : Les jeux sont faits
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Jeux de société : Les jeux sont faits

Les jeux de société nouvelle génération arrivent au Québec et font fureur chez les adultes. Depuis les cinq dernières années, des événements ludopathiques se tiennent partout dans la province pour faire découvrir ces jeux aux mordus. Monopoly, Scrabble et autres Risk n’ont qu’à bien se tenir!

Voici une devinette: j’encourage les joueurs à être des colons sur une île, je les exhorte à étendre leurs colonies en exploitant les ressources du sol et, enfin, je les pousse à devenir des commerçants. Qui suis-je? Les Colons de Catane. Depuis trois ans, ce jeu allemand a conquis plus d’un million de fans sur la planète. Tel un tsunami, il a complètement changé la donne dans le monde du jeu de société des 10 dernières années. "L’excitation est dans le principe: un jeu sans temps mort, et on n’a pas besoin d’attendre son tour pour jouer. Le plateau est modulaire et se transforme au gré des parties. Enfin, il allume l’imaginaire", décrit Pierre Poissant-Marquis, joueur invétéré.

Historien de formation, M. Poissant-Marquis et un autre compère passionné ont lancé la première Rencontre ludopathique du Québec à Granby en 2003, pour faire découvrir les nouveaux jeux européens aux adeptes, à l’instar de ce qui se fait dans le Vieux Continent. Une quarantaine d’amateurs ont répondu à l’appel et ont puisé dans la ludothèque commune. Depuis, c’est devenu un événement incontournable attirant de nombreux commanditaires et créateurs de jeux. Et il y en a pour tous les goûts: jeux de plateau, jeux de rôle, jeux de guerre ou jeux de cartes. L’an dernier, plus d’une centaine de personnes sont venues lancer les dés et avancer leurs pions jusqu’au bout de la nuit. La 4e Rencontre ludopathique à Granby aura lieu les 9 et 10 septembre prochain.

Dans la province, la formule a fait boule de neige. De Montréal à Trois-Rivières, en passant par Gatineau et Rouyn-Noranda, des rendez-vous ludiques se sont tenus ces six derniers mois. Et à Québec, les organisateurs de la journée des jeux de plateau ont accueilli une centaine de fanas le 3 juin. Des commanditaires internationaux, composés de distributeurs de jeux, se sont bousculés au portillon pour participer à l’événement dans l’espoir de percer le marché québécois. "Il y avait plus d’une centaine de jeux allemands, français, italiens et même néo-zélandais. Certains ont été offerts en cadeau", précise Yannick Saindon, responsable de la commandite.

Aujourd’hui, 35 % des Québécois joueraient à des jeux de société, selon Radio-Canada. Et de plus en plus de femmes s’y intéressent en raison d’une plus grande interactivité, de variété de thèmes et d’univers. La plupart des mordus ont entre 20 et 40 ans et font partie de la génération zapping, qui a été nourrie au biberon de la Nintendo et des jeux de rôle. "Le premier facteur est la saturation de l’offre des jeux vidéo. C’est devenu une industrie de la sensation que de l’innovation de concepts. Ensuite, le phénomène du nesting s’est développé après le 11 septembre", explique M. Poissant-Marquis. La maison devient un lieu privilégié de socialisation, où les gens se retrouvent pour boire un verre et pour se livrer à des jeux de société, entre autres.

Et les classiques comme le Monopoly ou le Pictionnary ne suffisent plus. En matière d’innovation et de qualité, c’est l’Allemagne qui tient le haut du pavé depuis 25 ans avec une production de 150 jeux par an.

En France et en Allemagne, les festivals de jeux et les ludobistrots sont légion et ne se désemplissent pas. Au Québec, le phénomène est en pleine éclosion depuis cinq ans, et l’effervescence est dans l’air, constate Martin Bouchard, alias Martin HB, créateur du jeu Similiarius, un jeu de mémoire et d’observation, qui a été bien coté par le magazine Protégez-Vous. "Chez les librairies Renaud-Bray, le secteur des jeux et jouets enregistre la plus forte croissance. Il y a cinq ans, il n’y avait que deux produits pour adultes. Aujourd’hui, elles ont 8 à 10 fournisseurs de jeux de société", déclare M. Bouchard. Travaillant également chez Philosophia, un distributeur québécois, Martin HB estime qu’un bon jeu est celui qui va capter l’attention et faire jaillir l’étincelle. D’où l’importance des événements ludopathiques pour tester des prototypes. Sébastien Leonhart, un vrai mordu et récent créateur, a présenté sa maquette Tout est art, lors du rassemblement à Québec en juin. Le principe est d’être artiste, d’acheter des oeuvres et des monuments, tout en s’improvisant critique d’art.

Ainsi, derrière ces nouveaux jeux, se trouvent des auteurs. De la même manière que les romans, les jeux sont devenus des objets culturels. "Personne ne sait qui a créé le Scrabble ou le Clue. Aujourd’hui, les amateurs recherchent de plus en plus les jeux créés par certains auteurs ou certaines maisons d’édition pour retrouver un univers particulier. Ainsi, Klaus Teuber est devenu une star grâce aux Colons de Catane. Alan Moon, le père des Aventuriers du rail, est célèbre, tout comme Roberto Fraga, à l’origine de La Danse des oeufs. Comme un écrivain, chacun a son style et sa signature", explique Martin HB.

M. Poissant ajoute que le jeu de société est à l’image du pays qui l’a créé. "Il y a des traits culturels qui ressortent. En Allemagne, les jeux sont davantage tournés vers l’aspect constructif comme Carcassonne ou Les Colons. L’esprit est beaucoup plus pacifique. Aux États-Unis, les jeux sont très capitalistes, comme le Monopoly, tournés vers la conquête et l’invasion. Les Français préfèrent les jeux déjantés, car ce qui compte est d’avoir avant tout une bonne expérience sociale à raconter. Les Québécois, eux, aiment davantage le caractère communicatif et instructif d’un jeu. Expression de leur besoin d’identité, les jeux de connaissance sont très appréciés, tel le Docte Rat", constate-t-il.

Désormais, le Québec veut aussi tirer son épingle du jeu en proposant ses propres créations. Tout comme le phénomène, le marché québécois est en éclosion. En ce moment, la province compte quatre distributeurs montréalais: Philosophia, Îlot 307, Gladius et Foxmind games. "Chez Philosophia, il y a beaucoup d’adaptations québécoises qui sont prévues. Et bientôt, on va se tourner vers l’édition de nouveaux jeux", affirme Martin HB, qui est très optimiste par rapport à l’avenir.