Pop Culture : Engagés dans l'engrenage?
Société

Pop Culture : Engagés dans l’engrenage?

Dernièrement, vous en avez peut-être eu vent, Philippe Renault, du Journal de Montréal, se gargarisait d’un pseudo-scoop à propos du désir de Loco Locass et des Cowboys Fringants d’orienter leur production artistique vers des textes moins "engagés". Pourtant, ce n’est pas d’hier que les deux groupes s’aménagent un trimard loin des champs de bataille. En novembre 2005, lors d’une entrevue téléphonique, Chafiik ouvrait déjà cette porte, insistant sur le fait que toutes leurs chansons ne sont pas "engagées", terme galvaudé qu’il s’appliquait à nuancer. En effet, le groupe ne s’est jamais présenté comme étant engagé, mais plutôt politisé, soit conscient de la politique.

Si Loco Locass veut faire moins engagé, il reste à souhaiter que les trois valeureux verbomoteurs ne tombent pas dans le piège où se vautrent les rappeurs qui s’apitoient sur leur sort… "C’est donc difficile de faire du rap!" cherchent à nous convaincre ces pauvres incompris, qui ont choisi de faire du rap envers et contre tout. Comme si les rappeurs étaient les seuls artistes à manger leur pain sec.

Le plus inquiétant dans tout ça, c’est justement que Loco Locass arrivait à faire un rap qui n’est pas insipide. Pas trop de ces textes ombilicaux, hermétiquement scellés sur le destin tragique d’un rappeur qui rushe contre l’industrie. Bien hâte de voir comment ils réussiront à se détacher de la politique alors que Biz lui-même affirmait au Voir Montréal, en décembre dernier: "Dès qu’il y a deux personnes, il y a du politique. Je ne comprends pas que quelqu’un puisse dire: "Fuck la politique!"" Serait-ce ce genre de "Ah, pis fuck!", de happy end un peu fade, que vous êtes en train de nous préparer, les gars?

Sans doute rappelée à l’ordre par la férule du pécule, la horde qui fabule un pays pour un peuple discret, assoupi, qui paye sans répit, qui fraye par dépit, auprès de l’ennemi, tout à coup se tait, recule. Faudrait faire dans le prémâché, chercher à se harnacher un autre auditoire, s’ouvrir d’autres territoires…

Si vous croyez les Locass capables de faire table rase des arguments roides qui s’érigeaient jusqu’ici dans leurs textes, pris dans l’engrenage au point de devenir apolitiques, vous vous trompez. Peu importe ce qu’il adviendra de leur création. Parce que même se taire a une portée politique. Surtout lorsque l’on sait parler. Que ce choix résulte du besoin de rejoindre un plus large public, du désir de flatter quelque organisme subventionnaire, ou d’une attitude blasée et déconfite… C’est prendre le parti de l’abrutissement culturel et de l’inculture politique. Ce serait triste. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, ils nous chantaient: "Faites du bruit!" inspirant les chantiers étudiants qui ont pris le pavé d’assaut.

Bien sûr, discours politique attire parfois l’imPOLIe criTIQUE. Les détracteurs des Loco Locass, souvent virulents, ont été nombreux, les accusant d’un nationalisme brut, les posant à la solde d’un PQ qui a passé son tour lorsque est venu le temps d’écorcher notre histoire politique.

On a souvent considéré le groupe comme monolithique, amalgamant ses différents points de vue en un seul. Mais alors on a oublié que Loco Locass, c’est trois gars qui ont chacun leur vision des choses, qui ne votent pas nécessairement du même bord. "Souvent, c’est le différend qui est à la source de ce qu’on écrit", me mentionnait Chafiik en entrevue. Peut-être qu’à force de s’obstiner, ils ont fini par s’entendre et ne trouvent plus matière à détendre un verbe engagé et à s’arquer contre des tangentes politiques abusives.

Pourtant, ce qui meurt, ce n’est pas leur engagement – ils ont été clairs. De toute façon, j’ai peine à croire qu’ils arriveraient à se délester totalement de la charge politique qui sous-tendait jusqu’ici leurs différents textes. Parce qu’on n’arrête pas d’être conscient tout à coup pour pondre des fadaises. Ils l’ont bien compris: si leurs chansons vieillissent mal – c’est le principal argument fourni pour expliquer leur changement de cap -, ce n’est pas parce qu’elles sont engagées, c’est parce qu’elles font référence à des situations ponctuelles qui deviennent rapidement obsolètes. Or, on peut facilement être politisé sans faire de telles références.

Quand les engagés cherchent à se dégager de leur engagement, m’est avis que c’est un voeu pieux. Parce que l’engagement des Loco Locass est viscéral et se situe au-delà des simples références textuelles. Et parce que cet engagement se pose aussi, entre autres, contre la facilité langagière. Chacune des phrases qu’ils scandent est une célébration de la langue française. Si leur discours devient moins didactique, il sera encore porteur, gardera la trace de la même volonté de reconnaissance.

Qu’on soit d’accord ou non avec les propos propres à Loco Locass, il est indéniable que ses efforts ont eu un impact considérable. Au-delà des idées véhiculées, il a ouvert les jeunes esprits à la chose politique, les a intéressés aux grands enjeux de l’actualité, alors qu’à notre époque, on verse plutôt dans le cynisme. Ainsi, même s’il n’avait fait qu’allumer l’esprit de contestation d’une jeunesse qui en a bien besoin…

ooo

Un show planant. Le personnage de la chanteuse, ultra sexy, donnait l’impression de sortir d’une bédé des Cités obscures.

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Cette semaine, dans notre blogue, surveillez la critique du show de Caniche Hara-Kiri et, dans le Bill d’la relève, un film de François Bégin en Normandie, Marilou Desbiens à Baie-Saint-Paul et un concours pour la relève musicale à l’Auberge Île-du-Repos.