Société

Ennemi public #1 : L’espoir, vieille chouette, l’espoir

C’était dans le dernier numéro de L’Actualité. Mais depuis quelques jours, c’est aussi dans les pages d’opinions de presque tous les journaux, où lecteurs, chroniqueurs et éditorialistes déchirent leur chemise à propos de la sortie de Jacques Godbout concernant la disparition de la nation française d’Amérique, chronique d’une mort annoncée que le magazine affiche en une.

Bon, c’est pas vrai, tous ne déchirent pas leur chemise, j’exagère encore. Il y en a même plusieurs pour trouver que le cinéaste-auteur-journaliste-polémiste frappe dans le mille. Déclin démographique des "pure laine", immigration massive, langue en déroute, nos politiciens sont issus du cégep et non du cours classique (ô drame, ô cataclysme intellectuel): tout cela contribuerait à la déliquescente chute vers le néant du Québec tout blanc tout franchou dont rêvait Godbout.

Et après? Rien du tout. Pas l’ombre d’une solution, pas de lumière au bout du tunnel. Dans le discours de Godbout et de ceux qui abondent dans le même sens, la jeunesse qui propulse le Québec vers le cauchemar est assimilée à une seule école de pensée, inféodée aux curés écologistes et à la toute-puissante science. La culture québécoise? Sur le déclin, comme la langue, comme l’idée d’indépendance, comme tous ses vieux idéaux. Point barre.

Mais avant de trop nous énerver avec cette condamnation, rappelons une chose à propos du messager: Godbout est une vieille chouette. Comme tous ceux de son espèce animale, il regarde la génération montante avec condescendance et, surtout, avec l’inaltérable conviction que ses rêves et ses aspirations de jeunesse étaient habités de grandes idées qui se sont perdues en cours de route. Il a la certitude d’avoir vécu l’âge d’or de sa nation et qu’après lui, le déluge. Ciao bye!

On est là devant le discours le plus débilitant, le plus réducteur, mais surtout le plus ignorant qui soit: celui d’un vieux mongol qui, s’avouant perdu devant la complexité du Québec moderne, ne peut l’examiner qu’avec ses référents caducs de la Révolution tranquille ou de la première élection du PQ. Et le voilà qui hulule comme pour faire peur aux enfants la nuit, pour les empêcher de dormir sur leurs deux oreilles.

De quel don de clairvoyance Jacques Godbout est-il doté pour deviner qu’en 2076 (et pourquoi cette date au juste?), le magazine L’Actualité annoncera la disparition du Québec francophone? Le même que Jojo Savard. Et de quelle expertise dispose-t-il pour réduire le Québec actuel à ce qu’il décrit comme une monumentale déroute?

Aucune, si ce n’est ce don divin que lui confère l’année de sa naissance.

"Quand j’avais 20 ans, la majorité des Québécois n’avaient pas 20 ans. Nous pouvions dire: "Vous êtes une bande de vieux cons et on va vous remplacer", c’était un discours naturel", relate-t-il dans cette entrevue accordée à Michel Vastel.

Petite nouvelle pour lui, ce discours est toujours aussi naturel. Peu importe le poids démographique, le neuf finit inexorablement par pousser le vieux.

"N’oubliez pas de discuter avec vos aînés pour aller au fond des choses", implore-t-il ensuite lorsqu’on lui demande s’il a un conseil à donner aux "jeunes".

Mais les "jeunes", ceux qui remplissent les pages de ce même magazine et que l’on a interrogés sur leur vision du Québec dans 30 ans, ils sont aussi idéalistes que vous pouviez l’être à cet âge, Monsieur Godbout. Peu importe que cet idéal ne soit pas le vôtre. Ni même le mien. Ils peuvent aussi aller au fond des choses, même sans cours classique, même sans vous écouter pérorer de la sorte.

Et pas plus cons que vos contemporains, ils savent reconnaître dans les hululements d’une vieille chouette les récriminations qui traduisent la suffisance plutôt que la sagesse.

Pour la plupart, ils ne déchirent pas leur chemise pour autant. Ils ne sortent pas non plus le tromblon pour effrayer le vieux volatil d’un ou de deux coups de semonce, mais se contentent de fermer la fenêtre pour laisser sa lugubre plainte se perdre dans la nuit.

Parce qu’eux sont habités de cette chose qui vous a quitté avec le temps, une chose que ni l’amertume de votre vieillesse ni le cynisme de ma jeunesse désabusée ne peuvent tuer.

Cette chose, c’est elle qui porte encore le monde, dont ce Québec que vous croyez perdu, et c’est elle qui le fait avancer entre deux crises de lucidité ou de solidarité, entre une guerre et un krach boursier.

Cette chose, toute simple, c’est l’espoir.