World Press Photo : DE VISU
Le jury du très prestigieux concours du World Press Photo a accordé le premier prix 2005 au photographe canadien Finbarr O’Reilley de chez Reuters. Il est actuellement de passage à Montréal.
En février dernier, Finbarr O’Reilly a remporté le premier prix du World Press Photo 2005. Tenu annuellement, ce concours dresse une vue d’ensemble de ce qui se fait de mieux en photo de presse sur la planète. Cette année seulement, 4 448 photographes de 122 pays ont soumis 83 044 photographies. Le cliché couleur de O’Reilley montre les minces doigts d’un bébé pressés contre les lèvres de sa mère dans une clinique d’urgence au Niger. Suite à une dévastatrice nuée de sauterelles doublée de la pire sécheresse qu’ait connue la région en plusieurs décennies, des millions de personnes se sont retrouvées à court de nourriture. De passage à Montréal pour le WPP 2006, il nous a accordé une entrevue.
Racontez-nous l’histoire de cette photo.
"Je couvrais la situation de famine au Niger l’an passé au moment du sommet du G8 en Écosse et des concerts Live 8 dans les grandes capitales du monde; chacun de ces événements avait comme but de porter l’attention sur la pauvreté en Afrique.
Il y avait beaucoup de couverture médiatique sur les politiciens occidentaux et sur les célébrités présentes, mais peu sur les Africains eux-mêmes. Des milliards de dollars ont été promis pour éponger les dettes et pour aider à résorber la situation, mais en attendant, des milliers d’enfants étaient en train de mourir de faim alors que quelques sous de nourriture seulement peuvent sauver une vie dans l’immédiat.
La photo a été prise dans un centre alimentaire d’urgence de l’association humanitaire Médecins Sans-Frontières. J’ai eu un empoisonnement alimentaire et j’étais très malade le jour où la photo a été prise. J’ai passé un long moment à la clinique, souvent à me reposer sur une chaise et à observer les mères avec leurs enfants; cela m’a donné un temps supplémentaire pour regarder davantage les détails des choses."
Où avez-vous grandi? Parlez-nous du parcours qui vous a mené au photojournalisme?
"J’ai grandi à Vancouver, mais il y avait cet oncle à Londres, qui m’a doucement amené vers la photographie en m’apprenant comment regarder les choses ordinaires d’une manière différente. J’ai commencé ma carrière journalistique comme rédacteur au Canada, et puis pour Reuters au Congo et au Rwanda. La transition à la photographie s’est vraiment faite lorsque j’ai passé un mois à travailler à Darfour (est du Soudan) à la fin de 2004. J’ai été envoyé à titre de correspondant écrit, mais on m’avait aussi donné une caméra et un téléphone satellite en me demandant d’envoyer autant d’images que possible. Darfour est un endroit d’une grande puissance visuelle, alors j’essayais d’expliquer les événements en images aussi bien qu’en mots. J’ai cependant remarqué que mes photos jouissaient d’une plus grande exposition internationale que les rapports que j’écrivais.
Souvent, les événements qui se déroulent en Afrique sont très compliqués et plutôt difficiles à comprendre pour un public extérieur qui n’investit pas beaucoup de temps pour se renseigner en profondeur sur le sujet. Une photo peut avoir beaucoup plus d’impact immédiat et peut résonner chez les gens avec beaucoup plus de force et de rapidité que les mots. Heureusement, une image peut encourager les gens à lire sur une problématique pour mieux la comprendre."
Quelles sont vos principales préoccupations, motivations ou inspirations derrière le travail que vous faites?
"Je suis surtout intéressé à couvrir des histoires auxquelles les autres journalistes n’accordent pas beaucoup d’attention. J’ai moins d’intérêt pour le Moyen-Orient ou l’Iraq, par exemple, pas parce que ces endroits ont moins d’importance, mais parce qu’il y a tellement de blancs de couverture sur certains sujets auxquels je sens que je pourrais apporter un peu plus d’explications. Il y a des histoires formidables à raconter sur l’Afrique, pas seulement des récits de misère et de guerre. Et c’est ce que je cherche à faire.
J’essaie également d’éviter de présenter les Africains comme des victimes, mais plutôt comme des gens d’une grande force et d’une grande dignité, même s’ils vivent dans une des pires conditions du monde."
Comment choisissez-vous vos sujets? Comment savez-vous que vous êtes en
train de faire une photo vraiment forte?
"Toutes les photos ne peuvent pas être formidables. Je tente de raconter une histoire de la façon la plus intéressante et créative possible, alors je recherche toujours des visages dotés d’une grande expressivité et qui racontent à eux seuls une histoire."
En quoi consiste surtout votre travail en ce moment?
"Je couvre l’Afrique de l’Est et l’Afrique centrale. Je suis basé à Dakar (Sénégal), mais je suis récemment allé à Israël pour couvrir le conflit avec le Liban."
Quelles sont les pires difficultés de votre travail?
"En Afrique, il me semble souvent que 90 pour cent du travail se compose de batailles logistiques – voyages, accès, coûts élevés, longues distances, autorités obstructives, mouvements dans des territoires reculés, difficulté à transmettre des images via des satellites de communication à partir de déserts ou de jungles… Il y a également certains risques dont on doit tenir compte."
Quelle est la part de création dans votre travail? Quelle est la part de journalisme?
"Juste par le fait de travailler en Afrique, tu dois être créatif pour que les choses fonctionnent, pour résoudre les problèmes et gérer toutes sortes d’obstacles quotidiens qui peuvent t’empêcher de faire ton travail! Quotidiennement, tu dois suivre ce qui se passe dans ta région, ce qui représente pour moi 26 pays d’Afrique de l’Est et d’Afrique centrale. Mais en termes de photographie, tout ce que je cherche à faire est d’essayer de raconter une certaine histoire de manière à ce que les gens ailleurs, aussi bien en Australie, en Asie ou en Amérique du Nord, puissent remettre ce qui se passe à un niveau humain."
Qu’en est-il de l’état du photojournalisme dans le monde? Quel est son avenir, selon vous?
"Le photojournalisme a un rôle important à jouer, de concert avec les autres formes de journalisme pour garder les gens informés et tenir les gouvernements et autres, responsables de leurs actions."
Que faites-vous lorsque vous n’êtes pas en mission journalistique?
"Je suis toujours en mission journalistique, d’une façon ou d’une autre."
Croyez-vous en Dieu?
"Non."
Finbarr O’Reilly tiendra une conférence le vendredi 1er septembre prochain au loft du Musée Juste pour Rire. 300 places sont disponibles, RSVP. La soirée de lancement du WWP à Montréal est ouverte au public et se tiendra jeudi le 31 août au Musée Juste pour rire